Je serai abracadabrante jusqu’au bout d’après le journal de Mireille Havet

Un cri sorti d’une malle

Je serai abracadabrante jusqu'au bout d'après le journal de Mireille Havet

Figure littéraire et météorite des « années folles », amie de Cocteau, Paul Fort, Colette, Cendrars, Gide, Mireille Havet (1898-1932) serait restée sans doute dans les limbes de l’oubli sans le hasard d’un orage menaçant le grenier où son journal gisait au fond d’une malle. Découvert en 1995, soixante-cinq ans après sa mort et révélé grâce à l’éditrice Claire Paulhan qui le publia, ce journal, où note-t-elle « j’écris tant de bêtises en cherchant mon âme », est de toute évidence son grand-œuvre et scelle sa résurrection littéraire tant s’y révèle l’incandescence d’une écriture bariolée des élans et des douleurs d’une âme constamment sur la brèche.

Ecrit au fil de la vie et des émotions, on y sent battre le pouls d’une jeune écrivaine baignée de poésie aussi extravagante que douée, battre le cœur d’amadou d’une jeune femme à la sensualité exacerbée, qui aima follement les femmes sans s’encombrer des interdits de l’époque, aima tout aussi follement la vie, « elle me monte à la tête m’envahit », mais dont « les vingt ans pèsent le poids d’un siècle ». Y palpite un être tout cousu de contradictions , lucide sur soi et « cette guignolade » qu’étaient pour elle ces « années folles » et à laquelle elle participait, cherchant à fuir, dans l’excès et la drogue où elle se perdra, le sentiment de culpabilité d’avoir survécu à l’hécatombe de 14-18 : « Nos maîtres sont morts et nous sommes seuls » écrit-elle en 1922, « notre génération n’est plus une génération, mais ce qui reste, le rebut et le coupon d’une génération qui promettait , hélas, plus qu’aucune autre…Nous voici en pleine apocalypse. Nous n’aimons pas fonder, construire, résoudre. Nous aimons tout ce qui finit et tout ce qui meurt. Voilà pourquoi, sans doute, tous nos amis sont morts. Notre faute est d’y survivre ».

Convaincu « que la scène, lieu acharné de la parole vivante », pouvait vibrer de celle singulière et brûlante de Mireille Havet, Gabriel Garran a, avec une grande délicatesse et très judicieusement, extrait quelques fragments « d’un texte -maelstrom », qui, des promesses de l’aube au dénuement et la détresse qui l’accompagne, suivent les méandres d’une existence consumée par les deux bouts et se précipita « en enfer par le chemin qui le fait oublier ».

De l’inventive scénographie de Jean Haas qui parsème l’espace de guéridons, fauteuils club et de chaises renversées, allusion au chaos des temps et évocation des déambulations entre bars et salons mondains de Mireille Havet, aux lumières de Franck Thévenon qui en épouse les humeurs, on perçoit bien que tout est mis en œuvre pour rendre justice à celle qui se voulait « abracadabrante jusqu’au bout » et écrivait comme on s’enivre pour se trouver et se perdre. Ce qu’hélas peine à nous faire sentir Margot Abascal qui opte pour un jeu monocorde ne suggérant ni éclat ni aspérité, tenant la parole à distance comme ayant peur de s’y brûler.

Je serai abracadabrante jusqu’au bout, d’après le journal de Mireille Havet, mise en scène Gabriel Garran avec Margot Abascal durée 1h 15
Maison de l’Arbre 9 rue François Debergue Montreuil jusqu’au 27 octobre.
Tel 01 48 04 04 65
Crédit photo Pascal Victor/artcomArt

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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1 Message

  • Je serai abracadabrante jusqu’au bout d’après le journal de Mireille Havet 7 octobre 2013 06:36, par Martine Sonblog

    Spectacle bouleversant, encore sous le choc de cette représentation "Je serai abracadabrante jusqu’au bout" à La Maison de L’Arbre. Le grand metteur en scène Gabriel Garran nous fait partager l’émotion de la vie passionnée et passionnante de cette poète oubliée, et magnifiquement incarnée par la comédienne, qui nous tient en haleine de bout en bout. Rare, à voir absolument. Encore tout le mois d’octobre.

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