Fantasio d’Offenbach à l’Opéra Comique

Fantasio à l’aise

À la salle Favart, une distribution idéale tire le meilleur parti de la reprise de l’opéra-comique d’Offenbach.

Fantasio à l'aise

FANTASIO EST UN OUVRAGE RESCAPÉ. Créée à l’Opéra Comique en 1872 avec un succès mitigé alors que le souvenir de la guerre franco-prussienne est encore vif (l’action se situe en Bavière), reprise en allemand à Vienne, rapidement oubliée par Offenbach lui-même qui néglige de la publier et en reprend quelques idées dans des partitions ultérieures, l’œuvre ne sera reconstituée qu’au début du XXIe siècle, sous la houlette de Jean-Christophe Keck. Elle a retrouvé le chemin de la scène en 2017, à la faveur d’une série de représentations donnée au Châtelet pendant les travaux de la salle Favart, puis à Montpellier, Genève et Rouen.

C’est ce spectacle qui revient aujourd’hui, cette fois chez lui, à l’Opéra Comique. S’agit-il pour autant d’« un chef d’œuvre oublié du romantisme français » ? Offenbach a fondé son succès en écrivant un grand nombre d’ouvrages plus ou moins légers agrémentés de quelques jolies mélodies, mais des Fées du Rhin aux Contes d’Hoffmann, il a toujours exprimé le désir de composer des partitions d’une autre veine, proche des hantises et des rêves d’un certain romantisme allemand.

Spleen et fantaisie

Fantasio se situe à mi-chemin : en s’appuyant sur une pièce d’Alfred de Musset adaptée par Paul de Musset, frère aîné du poète, Offenbach met ici en scène un personnage fantasque, étudiant en proie au spleen qui choisit de remplacer feu le bouffon du royaume de Bavière, pour laquelle la fille du roi éprouvait beaucoup d’affection. Malheureusement, la princesse, pour des raisons politiques, est promise au duc de Mantoue… qui lui-même, ne sachant guère à quoi ressemble sa promise, échange son costume avec celui de son aide de camp. D’où une série de quiproquos.

Paul de Musset n’a pas signé un livret lumineux (« front d’albâtre », « le jour s’enfuit, la nuit succède au jour », « quel murmure charmant soudain viens-je d’entendre »), mais Offenbach a-t-il donné là le meilleur de lui-même ? Si le basson qui accompagne l’air d’entrée de Fantasio provoque un effet d’étrangeté, le dessin du convoi funèbre de Saint-Jean (l’ancien bouffon) n’est guère remarquable, la chanson des fous trottine, le prélude du deuxième acte manque de nerf, de même l’air du prince de Mantoue « Je ne serai donc jamais aimé pour moi-même » ; il faut attendre la fin du deuxième acte pour tout à coup être surpris (par les flûtes crissantes sur les mots « Ne suis-je pas, dans mon emploi »). Le troisième acte est plus inspiré (la clarinette et le cor accompagnant avec espièglerie l’air de la princesse) mais n’arrive pas à effacer l’impression assez languissante que laisse l’ensemble de la musique.

Travesti et facéties

La distribution réunie l’interprète pourtant au mieux. Ligne conduite avec soin, incarnation délicate et sensible, Gaëlle Arquez est parfaite en étudiant-bouffon travesti, même si elle chante mieux qu’elle dit les dialogues. Son beau timbre sombre contraste idéalement avec la voix lumineuse de Jodie Devos, qui sait enlaidir avec bonheur ses vocalises pour exprimer son dépit. On est habitué aux facéties toujours justes de Franck Leguérinel (Le roi de Bavière) et François Rougier (Marinoni), cependant que Jean-Sébastien Bou, étonnant artiste aussi convaincant chez Poulenc, Escaich ou Offenbach, glisse avec le même talent du chanté au parlé. Les petits rôles sont bien distribués, à commencer par Thomas Dolié, qui donne de l’étoffe au personnage épisodique de Sparck.

Le spectacle de Thomas Jolly ne s’embarrasse d’aucune relecture métaphysique ou actualisante. Il joue le jeu de la comédie douce-amère, avec au fond un château de conte de fée, des praticables qui permettent de faire évoluer les chœurs, une prison d’où l’on s’échappe quand on le souhaite, des ballons roses qui ajoutent leur sucre, des costumes d’opérette et des éclairages ménageant des clairs-obscurs évocateurs. Offenbach est également servi au mieux par les membres du vibrant Chœur Aedes, qui se déplacent avec aisance, et par l’Orchestre de chambre de Paris que dirige Laurent Campellone, champion de ce type de répertoire. Campellone sait doser les volumes, ne couvre jamais les chanteurs, met en valeur les couleurs instrumentales quand la partition lui en donne l’occasion, ne souligne pas les flonflons : Offenbach est servi avec talent, on ne fera pas grief aux interprètes de gommer les surprises et les imprévus dont ne foisonne pas Fantasio.

Illustrations : Gaëlle Arquez-Fantasio ; Jodie Devos-la Princesse (photos Stefan Brion/dr)

Jacques Offenbach : Fantasio. Avec Gaëlle Arquez (Fantasio), Jodie Devos (La princesse Elsbeth), Jean-Sébastien Bou (Le prince de Mantoue), François Rougier (Marinoni), Franck Leguérinel (Le roi de Bavière), Anna Reinhold (Flamel), Thomas Dolié (Sparck), Matthieu Justine (Facio), Yoann Le Lan (Max), Virgile Frannais (Hartmann), Bruno Bayeux (Rutten, Le Tailleur, Le Garde suisse), Pascal Gourgand (Le premier pénitent), Pierre de Bucy (Le Monsieur qui passe) ; Chœur Aedes (dir. Mathieu Romano), Orchestre de chambre de Paris, dir. Laurent Campellone. Mise en scène : Thomas Jolly, reprise par Katja Krüger ; décors : Thibaut Fack ; costumes : Sylvette Dequest ; lumières : Antoine Travert et Philippe Berthomé. Opéra Comique, mardi 19 décembre 2023 (représentations suivantes : les 21 et 23 décembre.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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