Médée de Marc-Antoine Charpentier au Palais-Garnier

Le retour de Médée

Lea Desandre et Reinoud van Mechelen enchantent dans la Médée de Charpentier que dirige William Christie à la tête de ses Arts florissants.

Le retour de Médée

QUELQUES MOIS APRES LA MÉDÉE donnée au Théâtre des Champs-Élysées en version de concert, sous la direction d’Hervé Niquet, qui a fait l’objet d’un enregistrement remarquable*, revoici la terrible héroïne, telle que Marc-Antoine Charpentier lui a donné la vie dans son unique tragédie lyrique, créée en 1693 (David et Jonathas tient davantage de l’oratorio biblique). Cette fois, c’est dans le cadre d’un spectacle, représenté sur la scène du Palais-Garnier, qu’on peut applaudir l’empoisonneuse et infanticide. La production, signée David McVicar, n’est pas une nouveauté : étrennée en 2013 à l’English National Opéra, reprise au Grand-Théâtre de Genève six ans plus tard, elle nous arrive sans qu’elle soit en rien bouleversée, sinon la distribution.

David McVicar n’a pas pu résister aux sirènes de l’actualisation ou plutôt de la transposition dans le temps. L’action se déroule non plus à Corinthe mais à la fin des années 40, comme si la guerre se poursuivait, dans un salon où évoluent G.Is. (« Government Issues ») américains et officiers de la Royal Navy. Le metteur en scène a fait le choix d’une époque élégante, ce qui peut paraître curieux si l’on considère que la guerre prévalait en ce temps sur le souci d’élégance, mais le spectacle possède sa cohérence propre, et le soin porté aux éclairages et aux costumes en font un bel objet, animé par une direction d’acteurs assez sage.

Un avion et de la drôlerie

McVicar n’évite pas certains clichés : les photographies de groupe au magnésium, l’Italienne devant un micro (bien sûr factice) comme au music-hall, ou encore Créon devenu fou, le pantalon sur les chevilles, poussant des cris…. Il nous gratifie en outre d’un élément décoratif monstrueux, en l’occurrence un avion qui surgit des coulisses un peu à la manière du gigantesque cheval de ses Troyens vus à Covent Garden en 2012. Mais les nombreux airs de ballet composés par Charpentier sont l’occasion de chorégraphies pleines de fantaisie et de drôlerie, signées Lynne Page, qui animent avec bonheur le spectacle.

William Christie est un familier de l’œuvre, qu’il a enregistrée deux fois (en 1984 et 1994**) et dirigée à Caen (et dans d’autres villes) dans une production du regretté Jean-Marie Villégier. Il nous en livre ici, avec ses Arts florissants, une version lyrique, moins fiévreuse, moins urgente que celle d’Hervé Niquet, peut-être un peu plus sensuelle. On se demande pourquoi, toutefois, il nous prive du Prologue et fait commencer l’ouvrage, dès après l’ouverture, avec la première scène qui réunit Nérine et Médée.

Médée plutôt que Phèdre

C’est Lea Desandre, ici, qui a le titre. Elle campe une Médée jeune, qui n’a rien d’une Phèdre mûrissante, et se révèle au fil des actes le seul personnage entièrement sincère, dût-elle aller au bout de son raisonnement et de sa jalousie en sacrifiant ses propres enfants. Le timbre est clair, la voix assez peu volumineuse mais bien projetée, l’incarnation sensible : Lea Desandre s’offre le luxe, parfois, de jouer une Médée timide ou boudeuse, qui a peu à voir avec le monstre qu’on décrit souvent un peu trop rapidement. Face à elle, Reinoud van Mechelen nous transporte toujours autant par la douceur de sa voix, le raffinement de son phrasé, mais aussi sa capacité à remplir le volume du Palais-Garnier avec une puissance qui ne vient jamais s’opposer au moelleux du timbre.

On applaudit Laurent Naouri (Créon), plus ou moins costumé en De Gaulle (!), dont la verve et l’autorité sont intactes, et l’Otonte de Gordon Bintner, qui apparaît à la manière d’un aviateur géant, jovial, la poigne généreuse, mais séduit lui aussi par sa délicatesse de musicien. Charpentier n’a pas confié à Créuse les pages les plus décisives de sa partition (sauf le moment, au dernier acte, où le poison glissé par Médée dans la robe de sa rivale, brûle celle-ci jusqu’à la mort), mais Ana Vieira Leite campe le personnage avec noblesse et retenue. Les petits rôles, nombreux, sont bien distribués, avec une palme pour la Nérine d’Emmanuelle de Negri et la Cléone faussement naïve d’Élodie Fonnard, qui nous ravit au début du quatrième acte.

* 3 CD Alpha 1020
** La seconde (Erato) bénéficiant de la belle présence de Lorraine Hunt (Médée) et de Jean-Marc Salzmann (Oronte).

Illustration : Lea Desandre (photo Elisa Haberer/OnP)

Marc-Antoine Charpentier : Médée. Avec Lea Desandre (Médée), Reinoud van Mechelen (Jason), Ana Vieira Leite (Créuse, Premier fantôme), Laurent Naouri (Créon), Gordon Bintner (Oronte), Emmanuelle de Negri (Nérine), Élodie Fonnard (Cléone), Lisandro Abadie (Arcas), Julie Roset (l’Amour, Première captive), Mariasole Mainini (l’Italienne, Deuxième captive), Maud Gnidzaz, Alice Gregorio, Bastien Rimondi (chœur à trois voix), Juliette Perret (Une captive), Julia Wischniewski (Une captive), Virginie Thomas (Second fantôme), Clément Debieuvre (Second Corinthien, Un Argien, Un captif, Démon), Bastien Rimondi (Premier Corinthien, Un Argien, Jalousie), Matthieu Walendzik (Un Argien, Vengeance).
Mise en scène : David McVicar ; décors et costumes : Bunny Christie ; lumières : Paule Constable ; chorégraphie : Lynne Page). Chœur et orchestre Les Arts florissants, dir. William Christie. Palais Garnier, 15 avril 2024. Prochaines représentations : 18, 20, 23, 25, 28, 30 avril, 3, 7, 9, 11 mai.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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