David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier au Théâtre des Champs-Élysées
Charpentier à-demi charpenté
Menottée par une mise en scène qui s’éparpille et par un texte additionnel doucereux, la musique de Marc-Antoine Charpentier réussit malgré tout à se libérer.
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- 19 mars
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MARC-ANTOINE CHARPENTIER NOUS a laissé une magnifique tragédie en musique, Médée, mais aussi un ouvrage hybride qualifié de « tragédie biblique » dont la mouture originale consistait en dix actes et un prologue : David et Jonathas, commande des Jésuites pour le collège Louis-le-Grand. C’est que la partition, lorsqu’elle fut créée en 1688, était étoffée d’une tragédie en cinq actes et en vers latins signée d’un certain père Chamillard. La pièce a disparu, mais la musique heureusement a été préservée, ainsi que le livret, signé, lui, par le père François de Paule Bretonneau.
Oui mais voilà, en partant du principe que l’opéra ne se suffisait pas à lui-même, la production donnée à Caen en novembre dernier, reprise en janvier à Nancy puis en mars au Théâtre des Champs-Élysées, s’est vue étoffée d’un semblant de tragédie qui n’a sans doute rien à voir, ni par le propos, ni par le style, avec le travail du père Chamillard.
De quoi s’agit-il ?
Il faut dire que le livret de François de Paule Bretonneau, déjà, n’a rien de dramatique. L’histoire de Saül et de son fils Jonathas, l’ami de David, n’est pas d’une grande clarté ni d’un grand ressort. Quant au « livret théâtral » (sic) de Wilfried N’Sondé, qui prend la place de la tragédie de Chamillard, il se réduit à quelques répliques simplettes, lesquelles en appellent à la bienveillance, à l’humanité et sont dites (et bien sûr amplifiées), par une comédienne (Hélène Patarot) qui joue l’infirmière du malheureux Saül, acculé à la vengeance, au désespoir, à la mort.
Dans sa version originale, l’ouvrage était composite. Il ne l’est pas moins dans la présente production, d’autant que le metteur en scène, Jean Bellorini, navigue lui aussi entre deux eaux. Les scènes qui réunissent Saül et l’infirmière se situent à l’intérieur d’une chambre d’hôpital installée dans les hauteurs de la scène. Les autres font appel à des personnages grimés, qui à la fin arborent casques et treillis, la gestique des uns et des autres consistant en poses plus ou moins baroques qui alternent avec des allées et venues agitées sur le plateau.
De la musique avant toute chose
L’essentiel est dans la musique, et elle est fort belle, riche d’harmonies parfois imprévues. Charpentier donne l’impression d’oublier l’intrigue immobile qui lui est imposée, et multiplie les inspirations saisissantes. L’air « Ciel ! Quel triste combat » chanté par David est d’une tristesse majestueuse ; le duo « Goûtons, goûtons les charmes », qui réunit David et Jonathas, très réjouissant ; l’introduction instrumentale de l’air de Saül « Objet d’une implacable haine », poignante, de même la mort de Jonathas dans les bras de David. À la tête de l’ensemble Correspondances, Sébastien Daucé dirige avec un mélange d’élan et d’ampleur, et aboutit à un moelleux des sonorités qui donne à la soirée la solennité qui lui manque sur la scène. Et si le metteur en scène ne donne guère au chœur l’occasion de se déplacer avec éloquence, ce dernier est à l’unisson de l’orchestre : présent, nuancé, puissant quand il le faut.
On applaudit la diction, le timbre et l’engagement de Petr Nekoranec, qui arrive à donner vie à David, cependant que Gwendoline Blondeel, à qui revient le rôle travesti de Jonathas, sature d’aigus tirés et d’un trop-plein de pathos son très bel air « A-t-on jamais souffert ». Jean-Christophe Lanièce fait preuve d’une belle dignité en Saül, mais Étienne Bazola manque d’éclat en Joabel, et Alex Rosen convainc davantage en Ombre de Samuel qu’en Achis. Une mention particulière pour la toujours saisissante Lucile Richardot, malgré un masque de Pythonisse qui conviendrait mieux à Baba-la-Turque dans The Rake’s Progress.
Illustration : des masques pour David et Jonathas (photographie Philippe Delval)
Marc-Antoine Charpentier : David et Jonathas. Avec Petr Nekoranec (David), Gwendoline Blondeel (Jonathas), Jean-Christophe Lanièce (Saül), Lucile Richardot (la Pythonisse, la Troisième bergère), Étienne Bazola (Joabel), Alex Rosen (Achis, l’Ombre de Samuel), Hélène Patarot (la Reine des oubliés). Mise en scène, scénographie, lumières : Jean Bellorini (co-scénographie : Véronique Chazal) ; livret théâtral : Wilfried N’Sondé ; costumes : Fanny Brouste ; maquillages, masques, perruques, coiffures : Cécile Kretschmar ; son et vidéo : Léo Rossi-Roth. Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé. Théâtre des Champs-Élysées, 18 mars 2024. Ce spectacle sera repris le 19 mars in situ, puis les 26 et 28 avril 2024 au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, et par la suite à l’Opéra de Lille.