-* Critique – Opéra & Classique
Fantasio de Jacques Offenbach
Ombres et brumes pour une musique de lumière superbement interprétée
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- 14 février 2017
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On attendait sa version scénique depuis sa découverte – résurrection ? – au festival de Radio France à Montpellier en juillet 2015 (voir WT 4737). Ce Fantasio farceur et rêveur, chef d’œuvre oublié de Jacques Offenbach devait consacrer la réouverture de la salle Favart, berceau de l’Opéra Comique en travaux depuis le 1er juillet 2015. Les travaux ont pris du retard, la réouverture se fera attendre jusqu’en avril prochain, mais la création de Fantasio est restée fidèle au rendez-vous. Moyennant un changement de lieu. Il est accueilli « hors les murs » au Théâtre du Châtelet tout juste avant la fermeture de ce dernier pour travaux du même acabit.
Les ombres et les brumes chères au metteur en scène Thomas Jolly enserrent le destin du petit bourgeois rebelle dont Musset voulait faire « un théâtre à lire chez soi ». Après Eliogabalo de Cavalli en septembre dernier (voir WT5312), c’est la deuxième mise en scène lyrique de ce jeune shakespearien grand teint et on y retrouve son goût pour les paysages en nocturne, troués, balayés de strates lumineuses. Clairs obscurs, bruines et vapeurs installent les personnages dans un entre deux mondes, une sorte d’irréalité poétique surgie en plein sommeil.
Est-ce la meilleure façon de remettre en lumière une œuvre si injustement enfouie dans la pénombre ? Il n’est pas sûr qu’en dépit de son esthétique raffinée, de ses trouvailles scéniques tourbillonnantes, cette mise en nocturne lui aille tout à fait au teint.
Fantasio, né en 1872, huit ans avant la disparition d’Offenbach, (1819-1880) arrivait au mauvais moment. La guerre franco-prussienne, la défaite de Sedan (1870) hantait encore les mémoires, et, ce personnage allemand cabriolant en Bavière inventé par Alfred de Musset 38 ans plus tôt, heurtait le patriotisme blessé des Parisiens amateurs de musique. Les origines allemandes de son compositeur aggravaient son cas, même s’il était alors un amuseur reconnu et applaudi. Fantasio connu les affres de l’échec au bout de dix représentations. Et Offenbach qui avait rêvé d’enfin réussir à imposer une œuvre sérieuse reporta finalement son ambition sur Les Contes d’Hoffmann dont il ne verra jamais la création. Fantasio les préfigure en trois actes où se concentrent ses mélancolies, ses langueurs, ses marches folles et son lyrisme enjoué. Il y concentre les genres, navigue entre farce, romantisme et opéra-comique avec ses dialogues parlés. Dialogues aériens nés de la plume imagée d’Alfred de Musset, tels que son frère Paul les a adaptés et reconstitués pour Offenbach.
La partition de la version française de 1872 a finalement été reconstituée en 2013 par le grand spécialiste d’Offenbach Jean-Christophe Keck. Elle fut ressuscitée une première fois en version de concert lors de l’édition 2015 de ce Festival de Radio France et Montpellier. Les rôles principaux étaient alors chantés et joués par les mêmes interprètes que ceux de la première scénique du Châtelet. On retrouve avec bonheur en Fantasio déluré, Marianne Crebassa, dernière lauréate des Victoires de la Musique classique. Légère, agile comme un lutin, farceuse et tendre, la mezzo-soprano à peine trentenaire lui prête la chaleur de sa voix, le velouté de son medium, les coloris pastel de ses vibratos. Et le jeu leste, habité d’une comédienne douée. Jean-Sébastien Bou, autre figure de la première distribution, s’en donne à cœur joie pour faire jaillir tout le grotesque jubilatoire de ce prince de Mantoue qui veut se faire passer pour son domestique. Marinoni, l’aide de camp soumis à ses caprices, retrouve en Loïc Félix, un mélange de désarroi et d’ironie quand il entame son « reprenez cet habit mon Prince ». Enguerrand de Hys également se remet dans les bottes de Facio le copain fidèle de Fantasio.
Elsbeth, princesse promise pour raisons d’Etat (de Paix !) à un prince qu’elle ne connaît pas, se pare des vocalises virtuoses de la soprano colorature Marie-Eve Munger qui l’incarne avec une fraîcheur d’adolescente. Franck Leguérinel en un roi de Bavière jupitérien aux graves solides, semble sorti d’une carte à jouer. Avec Alix de Saux, Philippe Estèphe, Kévin Amiel, Flannan Obé, Bruno Bayeux, tous les rôles secondaires ont trouvé rythme et punch. Tout comme, et même surtout, l’excellent chœur de l’Ensemble Aédès.
C’est Laurent Campellone qui dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Il lui insuffle la magie particulière d’Offenbach, son élégance et ses nostalgies, ses saveurs discrètes, ses élans libérateurs.
Reverra-t-on ce Fantasio multiple, dans l’intimité de la salle Favart ? On peut l’espérer. En attendant on peut l’écouter dans l’unique enregistrement réalisé en 2014 par le label anglais Opera Rara.
Fantasio de Jacques Offenbach, livret de Paul de Musset d’après la comédie Eponyme d’Alfred de Musset. Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Laurent Campellone, chœur de l’Ensemble Aedes, direction Mathieu Romano. Mise en scène Thomas Jolly, décors Thibaut Faks, costumes Sylvette Dequest, lumières Antoine Travert et Philippe Berthomé. Avec Marianne Crebassa, Franck Leguérinel, Marie-Eve Munger, Jean-Sébastien Bou, Loïc Félix, Alix Le Saux, Philippe Estèphe, Enguerrand de Hys, Kévin Amiel, Flannan Obé, Bruno Bayeux.
Production de l’Opéra Comique
Théâtre du Châtelet, les 14, 16, 18, 20, 22, 24 & 27 février à 20h. Les 12 et 26 février à 16h
01 40 28 28 28 – www.theatre-chatelet.com
Photos Pierre Grosbois