Critique – Opéra Classique

ELIOGABALO de Francesco Cavalli

Leonardo García Alarcón illumine un Cavalli en nocturne

ELIOGABALO de Francesco Cavalli

Alors que la rentrée théâtrale grouille de nouveautés depuis quelques semaines déjà, l’ouverture de saison de l’opéra s’est fait attendre jusqu’à la création, vendredi 16 septembre, du très attendu Eliogabalo de Francesco Cavalli, le tout dernier opus lyrique de sa trentaine d’opéras, mais dont il ne vit jamais la création.

Une première pour l’Opéra National de Paris qui n’avait pas encore inscrit Cavalli à son répertoire. Une première pour la majorité des artistes réunis qui ne s’étaient jamais produit sur l’une des scènes de la première maison d’opéra parisienne, son Palais Garnier dont la splendeur fait rêver.

De Francesco Cavalli (1602-1676), on avait vu en d’autres lieux quelques bijoux au parfum baroque – à La Monnaie de Bruxelles, au Théâtre des Champs Elysées, à l’Opéra Comique, à l’Opéra de Flandres - La Callisto, Egisto, L’Ormindo, Giasone, La Didone (WB des 21 févier 2009, 5 février 2012, 7 mai 2007, 18 mai 2010, 18 avril 2012) mais cet Eliogabalo si tardivement redécouvert – en 1999, plus de trois siècles après sa composition ! - s’était endormi dans les archives.

Trois heures d’enchantement musical

Sa résurrection dans les pénombres de la mise en scène du jeune Thomas Jolly offre trois heures d’enchantement musical égrené sur les instruments anciens de la Cappela Mediterranea, l’orchestre que le chef argentin Leonardo García Alarcón fonda en 2005.

Les causes du rejet de ce petit chef d’œuvre, puis sa si longue mise en quarantaine peut s’expliquer par son sujet trop contraire aux bonnes mœurs. Son héros, s’inspire en effet de ce monarque romain, Héliogabale (204-222 de notre ère) dont le très bref règne et la très courte vie firent scandale. Sur le trône de 14 à 17 ans, il mena une vie de débauche anarchiste en renversant tous les codes sociaux de son temps… et de ceux qui allaient suivre. .
Cavalli en composa la musique pour le Carnaval de Venise. Son projet ne vit jamais le jour. Pourquoi, comment ? Des hypothèses circulent, aucune certitude. Collaborateur de Monteverdi après avoir été son élève, choriste, organiste puis compositeur à part entière, Cavalli était le musicien le plus joué, le plus choyé de son temps. On ignore le nom de l’auteur du livret de cet Eliogabalo qui balance joliment entre flammes et voluptés amoureuses, complots de cour et piques politiques.

Des couples se font et se défont au gré des humeurs et des désirs du jeune monarque rebelle, Don Juan bisexuel qui s’amuse à déjouer toutes les lois. Ephèbes amants, vierges amantes, tout est bon à prendre et à déguster. Les intrigues se nouent et se dénouent entre Gemmira, promise à Alessandro, Eritea, la violée qui aime Giuliano, Atilia qui cherche à se faire aimer tandis que Lenia, la nourrice matrone, tire les ficelles de leurs aventures. « Je t’aime moi non plus » : ils pourraient emprunter leur slogan à Serge Gainsbourg.

Sensualité joueuse

Cavalli habille leurs péripéties d’une musique, dense, animée, aux coloris finement contrastés où les vocalises en spirales rejoignent un érotisme fait de sensualité joueuse. Alarcón qui connaît son Cavalli jusqu’au moindre soupir et qui l’aime profondément en sert les pulsions les plus secrètes.

Sa direction lumineuse est toute en contraste avec les partis-pris de Thomas Jolly, nouvelle étoile de la mise en scène théâtrale, rôdé à Shakespeare et ses débordements et qui ici signe sa première intrusion dans le monde lyrique. Noir sur noir, la scène est plongée dans une brume qu’animent des jeux de lumières sophistiqués traversant l’espace comme des rayons lasers (Antoine Travert). Même si certaines images sont très belles, elles escamotent la plupart du temps les visages des protagonistes dont les silhouettes se déplacent de façon fantomatique. Quelques scènes sont d’une incontestable beauté -, le banquet, la danse des hiboux, le bain d’or de l’enfant-roi , le buste du vrai Héliogabale en fond de scène et le final en coucher de soleil – mais elles ne réussissent pas à compenser la contradiction planante entre ce que l’on entend et ce que l’on voit.

Franco Fagioli monarque sado-maso

Dans leurs costumes joliment extravagants (Gareth Pugh), les chanteurs-acteurs imposent leurs voix et leurs jeux. En tête, Franco Fagioli manifestement se régale à interpréter les caprices du monarque sado-maso qui se prend pour le soleil et dont la seule bible est le plaisir. Même si ses aigus n’ont plus tout à fait la brillance qui éclaboussait l’oreille quand il chantait Artaserse de Vinci à l’Opéra de Nancy (voir WT du 7 novembre 2012), il n’en reste pas moins un contre-ténor de noble envergure capable de noircir des graves patiné et de doter son personnage de tous les excès de la lubricité. En Giuliano, Valer Sabadus second contre-ténor de la distribution possède un timbre plein de fraîcheur qui manque encore un peu de volume, Paul Grove use de la fermeté de sa voix de ténor pour imposer un Alessandro – futur empereur – encore tiraillé entre ses principe de fidélité politique et ses élans amoureux, Matthew Newlin, ténor , allège ses tonalités comme pour concurrencer ses partenaires, Scott Conner fait tonner les graves de sa tessiture de basse tandis que le brillant ténor Emiliano Gonzalez Toro compose en Lenia une irrésistible matrone de bande dessinée. Les femmes se taillent la part belle de l’ensemble. Atilia, celle qui ne trouve ni cœur, ni chair à sa taille, a la sensualité dansante, quasi adolescente de Mariana Florès, en Eritea, l’abusée, Elin Rombo tangue entre émotion et passion tandis que Nadine Sierra transforme Gemmira en une flamme ardente dont les trilles et vocalises grimpent jusqu’aux cintres.

Complément indispensable de l’ensemble, le très habité Chœur de Chambre de Namur dont Leonardo García Alarcón assure la direction depuis 2010, referme la boucle de la réussite de cette production.

Eliogabalo, opéra en trois actes, musique de Francesco Cavalli composé en 1676, redécouvert en 1999, livret anonyme. Orchestre Cappela Mediterranea, Chœur de chambre de Namur, direction Leonardo García Alarcón, mise en scène Thomas Jolly, décors Thibaut Fack, costumes Gareth Pugh, lumières Antoine Travert, chorégraphie Maud Le Pladec. Avec Franco Fagioli, Paul Groves, Nadine Sierra, Valer Sabadus, Elin Rombo, Mariana Flores, Matthew Newlin, Emiliano Gonzalez Toro, Scott Conner.

Opéra National de Paris - Palais Garnier, les 16, 19, 21, 25, 27, 29 septembre, 5, 7, 11, 13 & 15 octobre à 19h30 – le 2 octobre à 14h30.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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