Du 3 au 21 juillet 2024 - Avignon Off - Théâtre du Train Bleu, 22h25.

Vernon Subutex de Virginie Despentes par Elya Birman et Clémentine Niewdanski.

Losers et laissés-pour-compte sous le rock des années 1980.

Vernon Subutex de Virginie Despentes par Elya Birman et Clémentine Niewdanski.

Vernon Subutex a 45 ans ; disquaire, il a connu ses heures de gloire dans les années 80 ; la crise du disque lui a fait perdre son emploi ; il ne peut plus payer son loyer. Pour trouver un endroit où dormir, Vernon reprend contact avec ses amis d’avant. Fans de rock à vingt ans, que sont-ils devenus à cinquante ans ? À travers une galerie de personnages cocasses et désenchantés, advient l’impasse d’une utopie juvénile. Vernon glisse sans retour vers l’exclusion sociale.

Clairvoyant, rock, noir et lumineux, Vernon Subutex dresse le portrait d’un loser-héros, et délivre un regard critique et féroce sur la société d’aujourd’hui, sans pitié pour la misère visible à l’oeil nu de nous tous qui passons, indifférents aux habitants et petit peuple des rues. L’écriture de Virginie Despentes est directe, rude et crue, pleine d’humour et de distance - une dérision désenchantée.

Le parcours de « vaincu » et de « raté » du protagoniste dévoile l’effondrement du monde contemporain. Le regard de l’oeuvre est non seulement critique, à sa manière provocatrice et virulente, quant aux déboires d’un capitalisme féroce et d’une société de consommation dont Vernon et d’autres sont les victimes, mais la vision est lucide sur les clivages réducteurs.

Reste la liberté de penser le monde - autres valeurs et points de vue, partage et solidarité.

La théâtralité romanesque s’organise autour de la narration que déclament les acteurs qui sont alternativement personnages, metteurs en scène et parfois musiciens - incarnation et récit.

Le metteur en scène et acteur Elya Birman retient d’emblée l’attention du public interpelé, quand il déclame avec conviction et force percutante l’histoire de ce héros en perdition, assumant la parole de Despentes, entre colère, rébellion, distance et dérision, en reconnaissant les faits et le poids de la malchance. Le même acteur qui se métamorphose interprète les proches et moins proches - Alex Beach, protecteur de Vernon disparu, Xavier, l’ami scénariste et naïf, Laurent Dopalet, producteur de cinéma, Kiko, trader, ces deux-ci caricaturaux en libéraux forcenés.

Dans le roman, deux mondes s’opposent : face à la prospérité des années 80, celui dévasté d’aujourd’hui. Face au trader richissime, le SDF sans subsides. Face au producteur malhonnête qui s’enrichit, le disquaire en faillite. Face à une productivité fébrile, l’impuissance latente et passive des démunis.( Elya Birman). Le fil dramatrurgique suit la chute irréversible de Vernon : différences sociales et trajectoire engagée depuis son expulsion jusqu’à sa position de sans-abri.

Les années 80 sont appréciées tel un âge d’or où la création, où les relations n’étaient pas perverties - prospérité, joie, fraternité et liberté, avant les pertes et le fracas. Une période appréciée et dite dorée a posteriori : on s’en réveille comme d’un mauvais rêve. La musique live du guitariste Vincent Hulot est rock et joyeuse donnant à la scène une effervescence communicative.

La représentation très enlevée, au début, peine à convaincre jusqu’à sa fin : en slalomant entre tant de péripéties accumulées, le rythme doit poursuivre son élan et son enthousiasme communicatifs.
Les interprètes sont excellentes, pour les femmes qui tournent autour du héros - Emilie, Sylvie, Lydia, Gaëlle, Marcia, Olga, La Hyène, Sophie…-, pour les jeunes fachos qui agressent les SDF. Nolwenn Le Du, Pauline Méreuze et Clémentine Niewdanski - la co-metteuse en scène-, passent d’un personnage à la narration, à l’invective, debout au micro sur pied, échangeant les répliques.

Le monde de la rue, ses repères de street art pour décor, s’invite au théâtre, avec de la musique. Vernon Subutex, incarné par Jean-Christophe Laurier, est telle une image extérieure qui contrefait un portrait en creux - danse et expression corporelle, même si ses partenaires étoffent l’effigie en lui donnant volume et sens. Reconnaissons-lui la figure emblématique de la perte, du dépossédé.

Vernon Subutex, d’après les romans Vernon Subutex - Tomes 1 et 2 de Virginie Despentes, mise en scène et adaptation Elya Birman et Clémentine Niewdanski, scénographie Estelle Gautier, créateur son et musique live Vincent Hulot. Avec Elya Birman, Vincent Hulot, Jean-Christophe Laurier, Nolwenn Le Du, Pauline Méreuze. Clémentine Niewdanski. Spectacle vu le 23 avril 2024 au Théâtre des 2 Rives à Charenton-Le-Pont (Val-d-Marne). Du 3 au 21 juillet 2024, Festival Avignon Off, au Théâtre du Train Bleu à 22h25.
Crédit photo : Rodolphe Haustraete.

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Véronique Hotte

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