Mille et un visages de la création musicale

Le festival Musica de Strasbourg fête ses 40 ans.

Mille et un visages de la création musicale

DEPUIS SA CRÉATION EN 1983, sous l’impulsion de Jack Lang, alors ministre de la Culture, et de son directeur de la musique, Maurice Fleuret, le festival Musica de Strasbourg a permis à près de deux générations de mélomanes et amateurs de création sous tous ses visages, de découvrir des œuvres extrêmement diverses : appartenant à des écoles identifiées comme telles ou non, venant de toutes sortes de pays du monde, se présentant sous des formats très variés et dans des lieux non moins divers. Dans des salles de spectacles traditionnelles, telles que par exemple l’Opéra, la cathédrale, le Palais des Congrès, l’Auditorium de la radio de Strasbourg, ou dans des lieux plus insolites, tout un panorama de la création musicale (et bien sûr de ses différents ancrages dans le répertoire) a pu se déployer chaque année à Strasbourg et dans ses environs, pendant environ trois semaines, de la mi-septembre à début octobre.

Choix de programmation

Bien entendu, la personnalité propre de chacun des directeurs qui se sont succédé à la tête de cette institution a infléchi la programmation. Certains musiciens se voyant ainsi particulièrement mis en exergue, le temps d’une édition du festival ou même de plusieurs éditions successives. Telle école ou tel style particulier a pu sembler, un temps, prendre le pas sur d’autres, relativement négligés. Mais si l’on considère aujourd’hui le temps long de ces quatre décennies, on voit bien qu’il a permis de parcourir des paysages sonores d’une très belle amplitude. Lors de la nomination de Stéphane Roth à la tête de Musica, en avril 2018, sa mission telle que formulée par le ministère de la Culture était la suivante : « Mettre en œuvre un projet artistique et culturel prenant en compte exigence artistique, soutien à la création contemporaine, réalité des territoires et développement des publics, à travers une politique ambitieuse de démocratisation artistique. »

Bilan et projet

Stéphane Roth, qui signe en 2023 sa cinquième édition du festival, revient sur les termes de ce projet, pour commenter son action : « Peut-être qu’aujourd’hui, en 2023, on arrive un peu au bout de ce projet, parce que pas mal de choses ont été mises en place et ont donné lieu à des résultats. Nous avions par exemple un gros enjeu de renouvellement et de développement des publics. Et, depuis 2019, on a en moyenne 60 % de nouveau public chaque année. Artistiquement, j’avais souhaité ouvrir beaucoup d’horizons, aller le plus loin possible, mener ce que je pourrais appeler des “actes de réception”, que ce soit d’un côté historique, avec des compositeurs comme Julius Eastman ou Alvin Lucier, dont les musiques n’avaient pas été beaucoup entendues, voire pas du tout, dans le cadre du festival. Ou aussi avec une plus jeune génération, à laquelle appartiennent par exemple des artistes comme Jennifer Walshe, Simon Steene-Andersen, Alexander Schubert et bien d’autres, dont je souhaitais présenter le travail en France, plus généreusement que cela n’avait été fait auparavant. Pour moi, c’est une première étape qui concerne la stratégie de public et les choix artistiques. À partir de 2024 et dans un futur proche, les choses changeront peut-être un peu et nous donnerons encore un autre souffle au festival. »

Retour aux fondamentaux ?

En découvrant la programmation très riche de l’édition 2023 du festival Musica, on peut avoir l’impression tout à la fois d’un renouveau, d’une ouverture à toutes les musiques, peut-être d’un projet de casser les frontières entre les répertoires, mais aussi d’un retour aux fondamentaux du projet, tel qu’il s’exprimait aux tout débuts de l’aventure en 1983. « J’ai grandi avec cet héritage, poursuit Stéphane Roth, par exemple quand j’étais étudiant à Strasbourg. J’ai une formation de musicologue et quand on étudie la musique du XXe siècle, on étudie un passé perdu : un passé communautaire des compositeurs, des avant-gardes, on ressent une ambiance, on regarde parfois des photos d’archives, en noir et blanc… On y voit que les gens s’encanaillaient bien et que cela ressemblait à une période radieuse. Donc, oui, je l’observe, cette période, je me demande ce qu’elle a été et j’aimerais que celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui soit tout aussi joyeuse… ! Et surtout qu’elle soit prospective, avec une force de pensée, qu’elle fasse bouger un peu les murs. Lorsque l’on regarde le programme de cette année, il y a beaucoup de choses qui peuvent en effet faire penser peut-être aux premières éditions de Musica, parce qu’il y a du cabaret, que l’on fait des concerts dans des lieux insolites, ou encore des concerts pour un auditoire très réduit, parce que nous impliquons des personnes de la ville : tout cela, ce sont des choses que Laurent Bayle, de 1983 à 1986, avait déjà lancées. »

Initiative originale

En ne mentionnant que deux éléments du programme de l’édition 2023, qui en comporte cent autres : Stéphane Roth et son équipe ont mis en œuvre un projet original : demander à des membres du public d’imaginer le programme de l’un des concerts du festival. Un médecin en retraite (qui avait trente ans lors de la première édition, en 1983) était ainsi à l’initiative d’un concert donné le 17 septembre, intégralement consacré à l’œuvre d’Olivier Greif, compositeur qui n’avait encore jamais été programmé à Musica. Un militant pour la cause de la Palestine, sur son versant non-violent, programmait quant à lui un spectacle de musique et de danse par de jeunes artistes palestiniens. Ou encore un couple de retraités (elle, professeur de musique ; lui, documentaliste), inspiré par les goûts de leur petit-fils, proposait un récital de violoncelle allant de Bach jusqu’aujourd’hui…

Pour les enfants

Une autre dimension importante du festival, depuis déjà plusieurs éditions, est la place importante donnée aux concerts pour le jeune public : réunis sous le nom de Mini Musica, des concerts originaux sont organisés pour un auditoire âgé de six mois (ou plus !) : mini récitals, ateliers, éveil musical, « danser sous les étoiles », « sons de la nuit », « bulles de son », « vocalises monkiennes », « en corps et en sons », et même deux ateliers de « yoga prénatal ». Car le goût de la musique se forme dès les tout débuts.

Illustration : Jennifer Walshe (photo Der Visagist/dr)

Festival Musica (https://festivalmusica.fr), jusqu’au 1er octobre 2023.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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