Inauguration de la Cité Bleue à Genève

Leonardo García Alarcón réalise son rêve

Un week-end d’ouverture captivant et prometteur !

Leonardo García Alarcón réalise son rêve

RÊVÉE PAR LE CHEF D’ORCHESTRE ARGENTIN Leonardo García Alarcón, la Cité Bleue, ancienne salle polyvalente construite en 1968 pour la Cité universitaire de Genève et aujourd’hui royalement rénovée, a accueilli son premier public les 9 et 10 mars pour un week-end d’ouverture séduisant et flamboyant. Inauguré par un Orfeo de Monteverdi donné en version de concert par l’ensemble Capella Mediterranea et son chef, en compagnie de solistes de grande qualité et du Chœur de chambre de Namur, l’événement se poursuivait le dimanche 10 mars par une série de petits concerts et spectacles associés, tous de très grande qualité.

Un bateau sur son erre

L’inauguration d’une nouvelle salle de spectacle ressemble au lancement d’un bateau : pas de bouteille fracassée sur sa coque, bien sûr, ni de ruban coupé, mais la même joie à accompagner l’accomplissement d’un projet et l’attente d’un voyage. C’est du moins ainsi que l’on a pu ressentir, lors de ce week-end, la jubilation évidente de celui par qui le projet est né : Leonardo García Alarcón, mais aussi celle de tous ceux qui l’ont accompagné dans cette grande entreprise : architectes, mécènes, membres de l’équipe artistique et administrative qui vont désormais faire vivre la Cité Bleue, et bien entendu les musiciens qui en sont les premiers résidents : ceux de Capella Mediterranea, à qui se joignait pour la soirée inaugurale l’excellent Chœur de chambre de Namur, partenaire familier de l’orchestre et de son chef. Pour la Capella fondée en 2005 par le chef argentin Leonardo García Alarcón, qui s’est fait largement connaître depuis par sa redécouverte d’œuvres baroques inédites mais aussi son interprétation renouvelée de chefs-d’œuvre du répertoire, il semblait tout naturel de célébrer l’ouverture de la Cité Bleue dans sa nouvelle configuration par une œuvre fondatrice de toute l’histoire de l’opéra : l’Orfeo de Monteverdi. La festive toccata sur laquelle s’ouvre cette « Favola in musica » sonnait ainsi comme l’idéale façon de célébrer en fanfare le début d’une nouvelle aventure.

Officiellement désigné directeur général et artistique de La Cité Bleue Genève en 2020, Leonardo García Alarcón proposait en 2022 une saison nomade hors-les-murs intitulée « Les Constellations » : opéra en version de concert, spectacle de danse, performance plastique et concerts dans dix lieux différents à Genève ont ainsi accompagné le public tout au long de l’année 2023. Capella Mediterranea est le tout premier résident artistique de la Cité Bleue, avec pour projet d’imaginer de nouveaux types de spectacle et de théâtre musical, associant tous les styles et genres musicaux, ainsi que des projets transversaux (arts du cirque, nouvelles technologies, etc.).

Constellations acoustiques

Cette dénomination de « Constellation » est aussi celle du système électro-acoustique conçu par l’entreprise américaine Meyer Sound et qui entre pour la première fois dans une salle de spectacle en Suisse : remarquable par la qualité d’écoute qu’il permet, il l’est aussi par la variété des effets qu’il propose, permettant d’adapter l’acoustique de la salle au type d’événement qui y est présenté. Bien que la salle de la Cité Bleue ne puisse accueillir que 300 personnes, la fosse d’orchestre y est comparable à celle d’opéras de beaucoup plus grande ampleur : mobile et motorisée, sa hauteur y est entièrement réglable, permettant d’adapter la forme du plateau à des événements de type divers. À l’issue de la représentation de l’Orfeo, samedi soir, Leonardo García Alarcón a pris soin de proposer au public une démonstration des qualités acoustiques de la salle, en faisant joyeusement taper des mains toute l’assemblée, pour lui permettre de ressentir, degré par degré, la qualité de la réverbération, sa puissance modulable, les différentes sonorités que le système très perfectionné permet d’obtenir... Ordinateur en main, le chef d’orchestre, tel un enfant ravi, fier et reconnaissant tout à la fois, a touché le public par son enthousiasme et sa joie.

Cela étant dit, on a pu malgré tout ressentir comme superflu le dévoilement par le chef d’orchestre des effets que cette technologie avait permis de réaliser pour l’interprétation de la partition montéverdienne. Le compositeur n’avait-il pas, en 1607 et sans autres moyens que son imagination musicale et ses moyens instrumentaux limités, créé justement, pour plusieurs séquences de son opéra, une « spatialisation écrite », beaucoup plus efficace (et surtout plus poétique et inventive) que ne peut l’être la technologie actuelle la plus pointue ? N’était-il pas contreproductif, pour l’auditeur de cette soirée d’inauguration de la Cité Bleue, de lui faire comprendre par la preuve technique et informatique, que ce qu’il avait pu ressentir comme entièrement musical était aussi d’essence artificielle.. ? La fameuse scène du deuxième acte de l’Orfeo, qui voit Orphée descendre au royaume des Enfers pour tenter de séduire et endormir le batelier Charon, n’est-elle pas suffisamment fascinante en tant que telle, pour que l’on s’abstienne d’y adjoindre la fabrication d’une magie de pure technologie ? La question reste ouverte...

Événements associés

Au long de la journée des « Portes ouvertes », le dimanche 10 mars, a été présentée une multitude de concerts, associés à une visite très bienvenue des installations de la Cité Bleue, accompagnée par l’équipe du théâtre. Une performance de toute beauté en était le prélude, avec la « Danse verticale » intitulée « Vola Euridice » interprétée dans le vide ainsi que le long de la façade de la Cité Bleue par l’extraordinaire danseuse (et acrobate, visiblement !) Rebekka Gather, sur une partition imaginée et jouée par la non moins extraordinaire violoncelliste Mara Miribung, installée quant à elle sur le toit du bâtiment annexe et qui prêtait également sa belle voix (et ses effets bruitistes dans le micro !) à ce spectacle hors-norme. Au long de ces quelques minutes de musique comme improvisée, de chant et de danse dans les airs, le public visiblement bouleversé et fasciné, le visage levé vers le ciel, a pu se laisser emporter dans une rêverie où se mêlaient la poétique de l’antiquité grecque, celle de la danse aérienne et celle d’une musique austère et lyrique tout à la fois. Un grand moment !

Plusieurs des solistes de la production de l’Orfeo ont ensuite présenté, tour à tour, de petits concerts originaux, également de très grande qualité : Valerio Contaldo (qui chantait la veille le rôle-titre de l’opéra de Monteverdi) a proposé, en s’accompagnant lui-même à la guitare (belle découverte que les talents supplémentaires de ces artistes) un programme baroque et romantique. Le contreténor Leandro Marziotte (qui chantait la veille le rôle du Berger), a lui aussi merveilleusement joué de sa guitare et chanté des extraits d’un programme qu’il a enregistré au disque, intitulé « Las Musas de América » – très belle et émouvante prestation. Et la mezzo-soprano Anna Reihold (qui interprétait la veille les rôles de Proserpine et de La Speranza), accompagnée par l’excellente gambiste Margaux Blanchard, a présenté des airs de cour et une mélodie de Ravel dans une atmosphère comme raréfiée : douceur des timbres mêlés des deux artistes, générosité de leur jeu et de leur chant, beauté et mélancolie de la musique... Dans la grande salle s’est ensuite déroulé un concert permettant d’entendre successivement des extraits d’opéra, de la musique de Piazzolla, de Chopin, de divers musiciens baroques – un concert présenté, accompagné et clos par les soins du maître des lieux : Leonardo García Alarcón.

Voilà une Cité Bleue qui s’ouvre sous de très bon augures ! On ne peut que lui souhaiter les plus belles aventures et, pour le public, les expériences esthétiques les plus captivantes (pour tous renseignements sur la saison 2024, se référer au site internet de la salle : lacitebleue.ch)

(Photo : François de Maleissye-Cappella Mediterranea)

Monteverdi : L’Orfeo. Avec Valerio Contaldo (Orfeo), Marianna Flores (Euridice, La Musica), Giuseppina Bridelli (La messagiera), AndreasWolf (Plutone), Anna Reinhold (Proserpina, Speranza), Salvo Vitale (Caronte), Fabien Hyon (Pastore, Sirito, Eco), Alessandro Giangrande (Pastore, Apollo), Matteo Bellotto (Pastore), Leandro Marziotte (Pastore), Philippe Favette (Spirito), Estelle Lefort (Ninfa). Choeur de chambre de Namur, Capella Mediteerranea, dir. Leonardo García Alarcón. La Cité Bleue Genève, samedi 9 mars 2024.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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