Le 8e Festival de Printemps des Arts Florissants

Monteverdi, un compositeur en perpétuelle reverdie

Une programmation somptueuse par des interprètes très engagés.

Monteverdi, un compositeur en perpétuelle reverdie

POUR SA HUITIÈME ÉDITION, le Festival de Printemps des Arts Florissants qui se déroulait du 19 au 21 avril dans les églises du Sud-Vendée prenait pour titre « Promenades sacrées – Monteverdi ». Peut-être pour suggérer l’identité subtile de la musique de Monteverdi, malgré son éclat : d’un mysticisme plein de vitalité, à l’écart de toute pompe dans ses œuvres religieuses, et d’une extraordinaire profondeur passionnelle dans ses madrigaux profanes.

C’est d’ailleurs cet alliage si particulier, dans la musique de ce compositeur, entre transcendance et sensualité, qui était au cœur du dernier concert, donné dans l’église de Sainte-Hermine, par Les Arts Florissants dirigés par Paul Agnew (lequel, comme très souvent, faisait également partie de l’ensemble vocal) : sous le titre un peu énigmatique de « Madrigaux sacrés », on a pu découvrir le fascinant travail de transformation opéré par un contemporain de Monteverdi, Aquilino Coppini, à partir de madrigaux profanes du compositeur. Coppini publie, du vivant de Monteverdi, plusieurs recueils de madrigaux dont il réutilise fidèlement la musique, pour lui appliquer, de façon étonnamment habile et convaincante, des textes religieux. Tel scénario amoureux plein d’exaltation devient ainsi, sous sa plume, une ode à la puissance divine ou une célébration du Christ...

Forêt morale et spirituelle

D’une certaine manière, ce concert magnifique formait l’apothéose de ce festival de trois jours, après la présentation, le premier soir, sous la direction de William Christie, d’extraits de ce recueil de la fin de la vie de Monteverdi intitulé Selva morale e spirituale (Forêt morale et spirituelle). On y peut trouver par exemple cette fameuse Pianta della Madonna (Plainte de la Vierge), qui n’est autre que l’adaptation par Monteverdi du non moins fameux Lamento d’Arianna, de sa plume, mais aussi un Salve Regina ou encore un Beatus vir de toute beauté. William Christie, qui dirigeait la veille à l’Opéra Garnier la Médée de Charpentier, et qui repartait le lendemain pour la représentation suivante (comme d’ailleurs plusieurs des solistes de ce concert, ce qui laisse rêveur sur la capacité de tous ces artistes à faire de leur vie un faisceau toujours renouvelé d’expériences...), y était comme toujours remarquable de rigueur et de sensibilité. Mais surtout, on reste pantois devant le mystère que constitue pour l’auditeur l’alliage d’autorité et de conviction esthétique de ce chef et le sentiment de liberté que dégagent ses interprétations, mais aussi l’identité singulière, qui ne semble nullement bridée par l’autorité de Christie, de chacun des solistes des Arts Florissants dans la polyphonie.

Est-ce la musique de Monteverdi qui suscite, plus qu’une autre, ce fil double, constamment maintenu au long d’un concert ? Ou est-ce qu’après quarante-cinq ans d’existence, Les Arts Florissants ont réussi à maintenir le cap de cet engagement émotionnel dans la substance même de la musique ? On ne saurait donner une réponse précise, mais pour l’auditeur, l’expérience d’écouter cet ensemble et leurs deux chefs, William Christie et Paul Agnew, est toujours un enchantement sensible. Même si l’on n’est pas connaisseur des codes rhétoriques et musicaux de la musique du XVIIe siècle italienne (qu’à vrai dire Monteverdi outrepasse toujours royalement...), on peut savourer dans toute sa plénitude, grâce à l’engagement des musiciens et au large souffle des deux artistes de haut vol qui les dirigent, l’architecture de la musique de Monteverdi, mais aussi son éclat et son intelligence de la matière sonore.

Une architecture lyrique

Au cœur de ce week-end étaient présentées, à l’Église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte, les Vêpres de la Vierge, œuvre magistrale composée par Monteverdi trois ans après son premier opéra, L’Orfeo, et dont Les Arts Florissants ont donné, en 1998, une excellente version discographique, à l’époque sous la direction de William Christie. Mais c’était cette fois Paul Agnew (l’un des ténors, alors, de cet ancien enregistrement) qui dirigeait l’ensemble. Visiblement passionné par cette œuvre et non moins évidemment traversé par une joie profonde (cela se lisait sur son visage, puisqu’il dirigeait tout en chantant, installé au cœur de l’ensemble des chanteurs et instrumentistes), Paul Agnew donne aux Vêpres de la Vierge toute leur puissance. Non seulement dans l’ample sentiment de célébration incantatoire qui traverse l’œuvre, mais aussi dans les microcosmes qui s’y rencontrent : l’une des séquences les plus sublimes de la partition, le duo de ténors « Duo seraphim », qui devient trio pour évoquer la Trinité, a été vécu par les auditeurs du concert comme un de ces moments hors du temps dont Paul Agnew et les Arts Florissants ont le secret... Lorsque les trois ténors prononcent, dans la nuance pianissimo, les mots « et i tres unum sunt » (et les trois sont un), l’auditoire semble pris d’une émotion tangible, qui résulte, non seulement sans doute de la foi chrétienne d’une partie de l’assemblée, mais aussi pour les autres, de l’intensité émotionnelle qu’y inscrivent les trois artistes.

Paul Agnew possède d’ailleurs également un autre talent, celui de parler de musique avec élan, passion et limpidité, bien loin de tout pédantisme : il a ainsi présenté les Vêpres en montrant, autour de l’autel, les différentes peintures évoquant les épisodes de la vie de Marie, qui se retrouvent dans l’œuvre de Monteverdi, et en soulignant combien ce lieu était propice à l’interprétation de cette œuvre particulière. Tout au long du week-end, c’est aussi lui qui, en maître de cérémonie sans cérémonial aucun, présentait les deux « Concerts & Café » donnés en matinée à l’église de Saint-Juire-Champgillon, par la luthiste britannique Elisabeth Kenny et le lendemain par le cornettiste français Alain Mabire, tous deux excellents musiciens et transmetteurs des mystères de leur instrument – Elisabeth Kenny avec finesse et réserve, Adrien Mabire avec un humour ravageur qui a enchanté le public. Leurs concerts dans l’église étaient en effet suivis d’une rencontre avec les interprètes, animée de main de maître par Paul Agnew.

Musiques pour un jardin

Ce festival, comme toujours, est aussi l’occasion de visiter les jardins de William Christie (inscrits à l’inventaire des Monuments historiques en 2006), sis à Thiré, petit village du Sud-Vendée où est installée depuis déjà plusieurs années la Fondation Les Arts Florissants et son Quartier des artistes. « Peu de temps après mon arrivée en France, écrit William Christie dans le hors-série de la revue Connaissance des Arts consacré à ces jardins, j’ai découvert la région de la Vendée où j’ai rapidement décidé de m’installer. J’aime les vieilles pierres et je voulais trouver une vieille bâtisse à restaurer, un lieu ayant son propre caractère où je puisse projeter mes désirs pour créer un espace qui me ressemble ; mais je cherchais aussi un terrain, avec un potentiel suffisant pour y créer un grand jardin. En découvrant le Bâtiment à Thiré, j’ai aussitôt reconnu le lieu où pourrait s’épanouir ce rêve. [...] Après une vingtaine d’années de travail, le jardin était devenu suffisamment abouti pour que puisse s’y projeter une idée que j’avais à l’esprit depuis bien longtemps déjà : en faire un lieu de musique et inviter le public à venir assister à des concerts dans ses différents espaces. »

Et c’est dans ce lieu magique, jardin à la française mêlé d’influences des jardins italiens, et surtout comprenant de multiples bosquets à l’acoustique très travaillée (arbres formant un décor circulaire favorable à l’écoute de la musique, par exemple), qu’a lieu chaque été, en août, le second Festival des Arts Florissants. À vos agendas !

Photo : Julien Gazeau

Festival de Printemps des Arts Florissants : Promenades sacrées - Monteverdi. Églises de Sud-Vendée, du 19 au 21 avril. Direction : William Christie et Paul Agnew.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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