Marseille, Théâtre Gyptis jusqu’au 2 avril 2011

Roméo et Juliette de Shakespeare

Vérone ou Marseille ?

 Roméo et Juliette de Shakespeare

Ce n’est pas sans courage de choisir la traduction d’Yves Bonnefoy quand on monte Roméo et Juliette. C’est l’une des plus belles mais c’est aussi l’une des plus lourdes en poésie – lourde comme l’est une branche d’arbre fruitier. Ce choix d’un texte de Bonnefoy, Chéreau le fit aussi quand il monta Hamlet. L’un des enjeux de la mise en scène de Françoise Chatôt – en ce précieux lieu du Gyptis qu’elle dirige à Marseille avec Andonis Vouyoucas - est d’associer cette riche fidélité littéraire à une grande vie du plateau. Pari réussi de ce point de vue-là puisque le spectacle commence par une vision de corps qui tombent et des bruits d’éclats – allusion volontaire à la fin de la dernière guerre mondiale. Ensuite Françoise Chatôt transpose l’action dans l’après-guerre, en une ville qui ressemble plus à Marseille qu’à Vérone, où la noblesse de l’Italie rêvée par Shakespeare ne fait que passer et où l’on voit plutôt des jeunes gens en chemise et des gens mûrs en imperméable.

On regrettera que l’habile décor de Claude Lemaire, aux ingénieux différents plans (et avec un lit suspendu et acrobatique où s’étreignent les amants ! ), soit si ténébreux et que les couleurs manquent souvent dans l’habillage méridional des personnages. Mais la soirée vibre fortement de la passion et de la fureur inhérentes à cette tragédie de l’esprit de clan triomphant et de la jeunesse étouffée. Françoise Chatôt imprime une vive tension sensuelle et pugilistique pour faire disparaître tout alanguissement sentimental. L’appétit des corps et la logique des castes mènent la danse, innocemment pour le premier, férocement pour la seconde. Ce juste point de vue est servi par une distribution où se distinguent le jeu des acteurs aguerris, très maîtres de leurs moyens physiques et vocaux, tels Philippe Séjourné, remarquable en père de la dynastie Capulet à la brutalité incohérente, Michel Grisoni, Raymond Vinciguerra, et l’interprétation d’une génération plus jeune, qui compense l’absence (relative) de métier par un engagement parfois brouillon mais inventif et séduisant. Victoire Belezy est une Juliette incandescente, aussi émouvante dans le chant des mots que dans la façon de vivre sur un plateau de théâtre. En Roméo, Guillaume Clausse doit atteindre plus d’intensité mais il est original dans ce dessin d’un garçon de la rue tempéré et méditatif jusque dans l’action la plus vive. En Mercutio, Charles-Eric Petit affirme un tempérament peu banal.
Avec eux et dans le décalage imaginé par Françoise Chatôt, Roméo et Juliette est contaminé par le Midi, sa flamboyance et son triste goût du règlement de compte. Un intéressant et fidèle détournement.

Roméo et Juliette de Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, mise en scène de Françoise Chatôt, scénographie de Claude Lemaire, lumières de Jean-Luc Martinez, chorégraphie et combats de José Maria Alves, musique d’Alain Aubin, costumes de Virginie Breger, avec Agnès Audiffren, Victoire Belezy, Carol Cadillac, Guillaume Clausse, Christine Gaya, Michel Grisoni, Ivan Herbez, Floriane Jourdain, Martin Kamoun, Charles-Eric Petit, Philippe Séjourné, Raymond Vinciguerra.

Théâtre Gyptis, Marseille. Téléphone : 04 91 11 00 91, jusqu’au 2 avril. (Durée : 2h30).

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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