Parle, envole-toi, ou comment le théâtre m’a sauvé la vie de Bruno Abraham-Kremer

Devenir l’acteur de sa vie

Parle, envole-toi, ou comment le théâtre m'a sauvé la vie de Bruno Abraham-Kremer

Bruno est au chevet de son père en réanimation à l’hôpital. Il s’adresse au malade plongé dans un coma profond. Ces deux-là ne se sont jamais vraiment parlé. En ces ultimes instants, Bruno va répondre à une des rares questions que son père lui ait posée : Pourquoi le théâtre ?
Pour ce faire, il faut remonter à l’enfance, à la découverte de la judéité à 5 ans dans une synagogue de Budapest, à la séparation des parents qui fera de lui un enfant solitaire à la charge de son père avocat qui n’a ni le temps ni le désir de s’occuper de son fils qui s’ennuie ferme, et c’est paradoxalement sa première chance. Il peuple sa solitude de personnages imaginaires, de scènes de western. Et puis il y a les sorties nocturnes en loucedé à 13 ans et leur lot d’aventures.
La première rencontre avec le vrai théâtre a lieu dans le cadre d’une sortie scolaire à La Cartoucherie de Vincennes où se donne l’Âge d’or d’Ariane Mnouchkine.
Le moteur de sa vie est peut-être bien un besoin inaliénable de liberté. Ainsi le voilà débarqué à Nice sans projet particulier, « je ne décide rien, ça se décide tout seul ». Malgré les imprécations de la mère au nom « des trois générations qui ont traversé l’Europe central au péril de leur vie pour que je puisse faire ce que je veux », malgré les menaces du père de couper les vivres, malgré la trouille, il a compris que pour trouver sa voie il lui faut rompre les digues et prendre le large. Il s’installe à Nice au prétexte de faire des études de droit très vite abandonnées.
Des rencontres décisives remettront définitivement le théâtre au centre : Claude Merlin, Yoshi Oida, Peter Brook, et puis Corine (Juresco).
Son agent lui a imposé de modifier son patronyme, homonyme du célèbre comédien Bruno Crémer. C’est ainsi qu’il décide d’ajouter le nom de son grand-père : Abraham. La question de la judéité court tout le long du spectacle, depuis la scène dans la synagogue de Budapest, les insultes à la fac de droit, le choix d’assumer son nom, ses origines d’« exilé ». Pour sa première audition, il raconte le mythe du Golem sur la scène d’un théâtre. Plus tard,il crée la compagnie de l’invisible, nom choisi en hommage à Peter Brook pour qui « Faire du théâtre, c’est tenter de rendre Visible, l’Invisible ».
On voudrait tout raconter de ce récit d’apprentissage pudique et drôle, imagé, magnifiquement écrit et nullement complaisant. Il tisse les fils qui vont contribuer à donner naissance à l’acteur : les douleurs de l’enfance, les relations difficiles avec les parents, la judéité, « la niaque » qu’il doit à son père, « son meilleur ennemi ». Si le hasard lui a parfois donné un coup de pouce, il ne doit sa réussite qu’à son courage et à son opiniâtreté pour devenir qui il est, selon la belle formule de Nietzsche.
On aime la présence généreuse du comédien amoureux des mots qui est à la fois dedans et dehors, conteur et personnages. On pourrait reprendre à son endroit son commentaire à propos de l’Âge d’or : « Il n’y a rien sur la scène mais je vois tout […] je suis frappé au cœur. »

Parle, envole-toi ! ou comment le théâtre m’a sauvé la vie. De et avec Bruno Abraham-Kremer. Mise en scène Corine Juresco et Bruno Abraham-Kremer. Scénographie et lumière, Arno Veyrat. Son, Jean-Baptiste Favory. A Paris, au Lucernaire jusqu’au 15 octobre 2023 à 21h. Durée : 1h30.
© Pascal Gély

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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