Critique – Opéra & Classique

Only the sound remains de Kaija Saariaho

Voyage sonore et visuel dans les labyrinthes de l’inconscient

Only the sound remains de Kaija Saariaho

Du jamais vu, jamais entendu. Un mélange d’oratorio, de ballet, d’opéra. Ce troisième opéra de la finlandaise Kaija Saariaho met sens dessus dessous les yeux et les oreilles. Créé en 2016 à Amsterdam, et après un passage à Helsinki, il atterrit sur les planches du Palais Garnier, ou plutôt sur son avant-scène qu’il occupe durant les deux tiers du spectacle.

Un spectacle composé de deux œuvres distinctes, Always Strong (Toujours fort) et Feather Mantle (le manteau de plumes), toutes deux tirées du théâtre Nô japonais, traduites en langue anglaise par le poète Ezra Pound (1885-1972). Les mortels et leurs ombres s’y livrent à des courses poursuite entre rêve et réalité. Le titre qui les relie – only the sound remains – seul survit le son – en projette la singularité.

L’amour de loin arrivé au Châtelet en novembre 2000 après sa création à Salzbourg, puis Adriana Mater programmé à l’Opéra Bastille en 2006 (WT 902), les précédentes œuvres lyriques de la compositrice ont eu pour fil rouge, tout comme l’actuelle production, l’imagination vagabonde du metteur en scène américain Peter Sellars. Homme de théâtre et de musique aux performances qui ont laissé d’indélébiles empreintes (Tristan et Isolde WT630, 1692, 4092, Dr. Atomic WT 4127…, entre autres) Il opte ici pour une abstraction ouverte à tous les possibles, une toile peinte de la décoratrice Julie Mehretu posée d’abord à l’avant-scène pour Always Strong puis changeant de format et s’ouvrant sur la profondeur noir d’encre du plateau pour accueillir et accompagner les danses du Feather Mantle, ce manteau voltigeur qui, de mains en mains, devient un personnage à part entière.

Costumés de gris, les sept musiciens de l’orchestre tout comme les quatre choristes sont visibles de la salle. Aux instrumentistes du quatuor à cordes Meta4, se joint une flûtiste (Camilla Hoitenga) un percussionniste (Hekki Parviainen) et Eija Kankaanranta qui fait vibrer les cordes pincées de son kantale, instrument original apparenté au koto japonais. Le superbe quatuor vocal Theatre of Voices réunit la soprano Else Torp, l’alto Iris Oja, le ténor Paul Bentley Angel et le baryton-basse Jakob Bloch. Ensemble, sous la direction attentive de Ernest Martinez Izquierdo, ils font plus qu’accompagner les deux protagonistes – l’homme, le prêtre, le spectre, l’ange - qui mènent les barques des deux œuvres, ils les doublent en instruments et en voix.

Tsunemasa (Always strong-toujours fort) emporte un prêtre sur les rives de l’au-delà où plane le spectre d’un guerrier-musicien mort au combat, Hagomoro (Feather mantle, le manteau de plume) voit un ange tombé de l’infini tenter de récupérer le manteau de plumes qu’un pêcheur a intercepté. Dans l’un comme dans l’autre le temps est suspendu, on navigue dans les eaux mêlées des songes et des symboles. Saariaho en tire une musique quasi spectrale dont les sons frôlent une sorte d’immatérialité. Ses deux interprètes solistes les servent et les entraînent dans les champs de l’impossible, ceux où la vie et la mort, le réel et l’utopique se côtoient en toute intimité.

Timbre sombre de baryton basse et aigus célestes de contre-ténor, les deux voix font couple en écho aux personnages qu’elles incarnent. Parachuté du baroque dont il a illustré un important répertoire, le contre-ténor Philippe Jaroussky, l’esprit, l’ange, l’immatériel, met pour la première fois ses envolées diaphanes au service d’une œuvre d’aujourd’hui. Il le fait mêlant grâce et conviction laissant enfler sa voix si fine, si légère par les mécanismes numériques de la partition. En prêtre, puis en pêcheur, le baryton basse Davóne Tines lui adresse en réplique la chaleur de ses graves. De leurs duos, de leurs assemblage nait une ferveur mystique sans dieu ni diable mais qui étreint.

Pour le manteau de plume, ce Feather Mantle qui clôt le spectacle en deuxième partie, la grâce fluide de la danseuse Nora Kimball-Mentzos ajoute comme un sourire à cet étrange course dans l’ailleurs d’un monde à inventer.

Only the sound remains
de Katija Saariaho, livret d’Ezra Pound & Ernest Fenollosa, quatuor à cordes Meta4, quatuor vocal Theatre of voices, Eija Kankaanranta- kantele, Camilla Holtenga-flûte, Helkki Parvizinen-percussion. Direction musicale Ernst Martinez Izquierdo, mise en scène Peter Sellars, décors Julie Mehretu, costumes Robby Duiveman, lumières James F. Ingalls, ingénieur du son David Poissonnier. Avec Philippe Jaroussky, Davóne Tines et la danseuse Nora Kimball-Mentzos.

Opéra National de Paris – Palais Garnier, les 23, 25, 27, janvier, 1er & 7 février à 19h30, le 4 février à 14h30.
08 92 89 90 90 - +33 1 71 25 24 23 – www.operadeparis.fr

Photos Elisa Haberer/Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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