Opéra National de Paris jusqu’au 29 décembre 2012

Carmen de Georges Bizet d’après la nouvelle de Prosper Mérimée

Bizet plombé par l’ennui

Carmen de Georges Bizet d'après la nouvelle de Prosper Mérimée

Que dire d’un spectacle attendu avec gourmandise dont on sort prostré sous les huées d’un public au bord de la crise de nerfs ? Carmen, l’opéra le plus populaire de tout le répertoire lyrique, annonçait son retour à l’Opéra National de Paris pour les incontournables fêtes de fin d’année, avec une distribution alléchante, sous la baguette du talentueux directeur musical de la maison, et la signature d’un homme de théâtre avisé : tout semblait réuni pour que la fête batte son plein. Elle n’eut guère le temps de commencer.

A entendre l’ouverture endiablée que Philippe Jordan fait pétiller par les musiciens de l’orchestre, on espère un moment que le plaisir sera au rendez-vous. Dès le lever de rideau sur les lumières blafardes éclairant chichement le décor unique d’une sorte de hangar en construction (ou démolition ?), on se demande où l’on va. Les questions vont se suivre pour tenter de comprendre le pourquoi et le comment des enchaînements d’un total ratage.

Yves Beaunesne, le metteur en scène a tenté de situer l’action dans la Movida, le renouveau culturel espagnol dont le cinéaste Pedro Almodovar est l’un des flambeaux, univers en effervescence des années 70/80 avec ses drag queens, ses excès, ses folies, un monde à mille lieues de l’héroïne de Prosper Mérimée, femme libre revendiquant son droit à la liberté jusqu’à sa mort, plus loin encore de la musique géniale que lui composa Bizet, une musique qui s’imprime dans la mémoire, les bras et les jambes aussitôt entendue. Mais qui ici se languit, se fait attendre, entre les récitatifs d’origine réécrits pour faire moderne et devenus pesants de vulgarité que les chanteurs, privés de toute direction dramatique, peinent à articuler. L’ennui tombe comme une chape de plomb.

Sous la perruque blonde d’une Marilyn de brocante

On se réjouissait de retrouver la pulpeuse Anna Caterina Antonacci, mezzo soprano d’exception qui fut, il y a trois ans, une Carmen d’anthologie à l’Opéra Comique (voir WT du 18 juin 2009) mais on la cherche en vain sous la perruque blonde d’une Marilyn de brocante. Elle semble errer dans les foules inutiles que les chœurs souvent en décalages ont du mal à justifier. Gracile dans sa petite robe noire pailletée, la voix d’habitude si somptueuse (sa Médée de Cherubini, sa Juive de Halevy ne s’oublient pas...) est soudain éteinte, elle a l’air de se demander ce qu’elle fait là.

Ceux qui l’entourent ne l’aident guère : Si Ludovic Tézier chante juste – c’est déjà ça de gagné ! – déguisé en rocker rondouillard, il n’a en rien la prestance et la joyeuse arrogance d’un Escamillo, le Don José du ténor autrichien Nikolaï Schukoff, un habitué du rôle pourtant, semble s’effacer devant son personnage, lui ôtant toute substance jusque dans la scène finale où pour étrangler la femme qu’il aime et qui ne l’aime plus il a emporté les restes de la robe de mariée de sa mère... Trop, c’est trop. Seule rescapée du naufrage : la jeune soprano autrichienne Genia Kühmeier, sur son vélo et sous son sac à dos, réussit, dans ce fatras, à donner vie et voix – timbre clair et satiné – à la pauvre Micaela, qui au salut, est la seule, avec le chef Philippe Jordan, à bénéficier de l’enthousiasme d’un public frustré... et en colère.

A partir du 20 décembre et jusqu’au 29, Karine Deshayes prendra la relève du rôle de Carmen. Elle connaît la maison et l’acoustique difficile de l’Opéra Bastille. On lui souhaite bonne chance.

Carmen de Georges Bizet, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan, chef de chœur Patrick Marie Aubert, mise en scène Yves Beaunesne, décors Damien Caille-Perret, costumes Jean-Daniel Vuillermoz, lumières Joël Hourbeigt. Avec Anna Caterina Antonacci, (et Karine Deshayes à partir du 20 décembre), Nikolai Schukoff, (et Khachatur Badalyan le 10 décembre), Ludovic Tézier, Edwin Crossley-Mercer, François Piolino, François Lis, Alexandre Duhamel, Genia Kühmeier, Olivia Doray, Louise Callinan, Philippe Faure, Frédéric Cuif.

Opéra Bastille, les 4,7, 10, 13, 20, 22, 25, 27 & 29 décembre à 19h30, le 16 à 14h30.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 - www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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