Critique – Opéra-Classique

ARMIDA de Joseph Haydn

Quand les Croisés du Moyen Age deviennent les défenseurs de la « manif pour tous »

ARMIDA de Joseph Haydn

Armide (ou Armida), magicienne chargée par les Sarrasins de séduire le chevalier paladin chrétien Renaud (ou Rinaldo) tombe amoureuse de sa proie et renverse le cours des choses et le cœur des hommes. Cet épisode de La Jérusalem délivrée de le Tasse a séduit nombre de poètes et compositeurs tels Gluck, Haendel, Lully. En 1784, Haydn en fut l’un des derniers du 18ème siècle. D’autres allaient suivre plus tard.

Haydn en fit son douzième opéra, le septième sur un livret italien (Nunziato Porta), le dernier créé dans le palais de son mécène Eszterháza , une œuvre que lui-même considérait comme la plus aboutie. Un bijou musical où les personnages laissent au vestiaire les habits abstraits de leurs symboles pour se glisser dans la peau d’êtres vivants et vibrants.

L’Arcal, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical fondée en 1983 qui voyage de scène en scène et dont on connaît depuis longtemps le dynamisme a décidé de refaire palpiter les tourments amoureux de ce petit chef d’œuvre et en a confié les rênes à Julien Chauvin, chef d’orchestre, pour sa partie musicale et à Mariame Clément, metteur en scène, pour sa réalisation scénique.

On connaît le plaisir que prend de cette dernière à débusquer les faces cachées des opéras. Pour en faire jaillir les ressorts comiques comme elle l’avait fait à Strasbourg (Platée de Rameau voir WT 2241), à Anvers (Le Voyage à Reims de Rossini, Giasone de Cavalli voir WT 3095 et 2328) ou pour en sonder les profondeurs psychologiques (Hänsel et Gretl de Humperdinck à l’Opéra de Paris, voir WT 3710 & 4383). Elle aime les seconds degrés et les décline parfois à la troisième ou quatrième escale de sa lecture. Avec des bonheurs divers. Celui qu’elle vient d’opérer pour cette Armida de Haydn fait partie de cette catégorie de relecture radicale. Avec un beau taux de réussite.

Comment rendre contemporain le dilemme amoureux de Rinaldo et Armida ? Exit la Ville Sainte, les Croisés et leurs ennemis, les Sarrasins musulmans ! Mariame Clément évite le piège d’une réactualisation qui ferait par exemple d’Armida une femme voilée et de Rinaldo un laïc pur et dur. Elle va plus loin. Sonde notre actualité et fait des Croisés les défenseurs de la famille traditionnelle, ceux qui envahissent les rues avec leur « Manif pour tous », tandis que les adeptes du « Mariage pour tous » se substituent aux Sarrasins. Armida qu’on devrait rebaptiser Armido devient un jeune homme au charme duquel Rinaldo ne peut résister. L’idée est judicieuse et la direction d’acteurs parfaitement ciblée rend leurs relations tout à fait crédibles. Manque pourtant à ce spectaculaire retournement de situation un mode d’emploi. A défaut d’avertissement préalable, on navigue au départ sur des questionnements.

Le décor aussi interroge : un plateau fermé par un rideau est posé au centre d’un espace rempli de chaises noires qui remplacent les terres guerrières de la Palestine du Moyen Age. Théâtre dans le théâtre ? Le rideau s’ouvre sur la figure mythique d’une déesse empanachée façcon conte de fées. Puis tout bascule dans notre quotidien. Le plateau en question devient scène, se transforme en salon meublé d’un canapé de cuir, en vestiaire d’un club de tennis, en bureau de style IKEA…. Costumes d’aujourd’hui, jeans et baskets. Avec ses amours singulières, Haydn devient résolument notre contemporain.

Que l’on comprenne ou non les tours et détours de ce transfert, on est subjugué par la musique. Haydn est admirablement servi par Julien Chauvin à la tête du Concert de La Loge Olympique, nouvelle formation issue du Cercle de l’Harmonie. Haydn respire au gré des actions, des sentiments, des conflits. On sait sa musique théâtrale et ici son exécution en dessine subtilement les contours et rebondissements dans des pianissimos qui font battre les cœurs. La distribution impeccable allie musique et théâtre par le jeu convaincant des interprètes et par leurs voix. En tête la soprano Chantal Santon qui corse la limpidité de son timbre pour enfiler les habits d’une Armida métamorphosée en jeune homme pris au piège de ses manœuvres séductrices. Elle (il) projette à merveille toutes les gammes de l’amour, coup de foudre, douleur, douceur. On y croit. Son Rinaldo barbichu a le jeu modeste, les flammes retenues du ténor Juan Antonio Sanabria. En Zelmira, la suivante - ici la copine -, Dorothée Lorthiois jongle en souplesse avec les aigus et les vocalises. Laurent Deleuil, baryton s’amuse visiblement à faire le méchant dans le rôle d’Idreno. Les ténors Enguerrand de Hys et Francisco Fernandez-Rueda apportent en décontraction mesurée le flux de leur jeunesse.

Créé en octobre 2014 à Saint Quentin en Yvelines, cette Armida au goût social a été présentée à l’Opéra de Reims, à l’Opéra de Massy et poursuivra sa tournée jusqu’ à la mi-mars 2015.

Armida de Joseph Haydn, livret Nunziato Porta d’après La Jérusalem délivrée de Le Tasse, orchestre Le Concert de la Loge Olympique, direction Julien Chauvin, mise en scène Mariame Clément (avec Benoît Benichou), décors et costumes Julia Hansen, lumières Marion Hewlett et Patricia Lechevallier. Avec Chantal Santon, Juan Antonio Sanabria, Dorothée Lorthiois, Laurent Deleuil, Enguerrand de Hys, Francisco Fernandez-Rueda, Catherine Hauseux .

Production de l’Arcal, - direction Catherine Kollen

En tournée :

11 février à 20h30 Théâtre d’Orléans (02 38 62 75 30)
19 février à 20h Scène Nationale de Besançon (04 73 29 23 44)
25 & 27 février à 20h Centre Lyrique Clermont-Auvergne (04 73 29 23 44)
5 & 7mars à 19h30 Théâtre des Louvrais/Cergy Pontoise (01 34 20 14 14)
10 mars à 20h30 Le Moulin du Roc/Niort (05 49 77 32 32)

Photos Enrico Bartolucci

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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