Voir et Dire la musique
Des inédits de Vladimir Jankélévitch et l’aventure de l’iconographie musicale donnent autant à voir qu’à entendre la musique.
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- 16 janvier 2018
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Florence Gétreau. Voir la musique. Citadelles Mazenod. 416 p. 189€ 2017
Reflet de la fascination des artistes pour l’immatérialité musicale, la peinture a tout été le miroir de la musique, au point de constituer au fil de l’histoire de l’art une discipline à part entière. Voir la musique est la somme de cette aventure esthétique à la fois iconographique et musicographique tant les deux genres se mêlent et se répondent. Débutée dès les Grecs elle s’accélère à la Renaissance pour s’épanouir dans les siècles qui suivent, Baroque, Romantisme, Art Nouveau,…. Se confondant alors dans une utopie fertile, celle de la fusion des deux arts.
Fruit de plus de cinq années de recherches – la vertigineuse bibliographie couvrant tous les champs de l’érudition musicale, esthétique et sociale en atteste - le texte de Florence Gétreau historienne et musicologue réussit la gageure de rester accessible (avec une écriture limpide et une approche thématique), érudite (elle ne se contente pas de raconter les tableaux, elle creuse aussi les statuts et la sociabilité des musiciens et de leur public) et éclairante (le mouvement des musiciens fervent d’un retour aux sources historiques se sont nourris d’iconographie pour retrouver instruments, gestes et pratiques. Son récit ne vise pas que les mélomanes mais tous les curieux qui cherchent à comprendre les dynamiques et les ressorts de la représentation d’une pratique artistique qui ouvre sur des enjeux esthétiques.
Si l’éditeur Citadelles Mazenod se caractérise toujours par l’ampleur et la qualité de ses reproductions, il faut souligner l’interaction constante avec une analyse fluide et précise des enjeux de la musique représentée. Permettant à chacun de plonger ensuite dans des périodes artistiques ou des correspondantes synesthétiques plus étroites pour aller plus loin.
Vladimir Jankélévitch. L’enchantement musical. Albin Michel. 21,50€ 2017
Dans un pays où les intellectuels s’intéressent toujours aussi peu à la musique privilégiant le texte ou l’image, Vladimir Jankélévitch a toujours fait figure d’original, et d’enthousiaste pour « l’enchantement musical. » et la capacité de la musique à exprimer « l’inexprimable à l’infini ». Et d’insister que le fait que « La musique n’est-elle pas une sorte de temporalité enchantée ? ». Son éthique philosophique s’en nourrissait pourtant profondément, comme l’éclaire magnifiquement les deux textes de Francoise Schwab en préface et Jean-Marie Brohm en postface : parce que le tragique du Beau, c’est aussi le tragique du Bien.
Pour tout mélomane, un nouveau recueil de textes de cet amoureux de la musique française (Fauré, Saint-Saëns, Debussy et Ravel sont hissé haut dans son panthéon) mais aussi cosmopolite de Liszt constitue une aubaine pour retrouver son écriture aérienne et subtile.
Les textes pour la plupart inédits ont l’intérêt de préciser la pensée musicale de l’auteur de « La musique et l’ineffable » (Seuil) dont on peut constamment découvrir et partager « l’éblouissement ». Ses préférences artistiques – le refus notamment des romantiques allemands - sont totalement assumées étayées sur des positions politiques et humanistes qui révèlent sa nature de rebelle contre le joug des puissants, la mode et les idées reçues. Que ce soit Liszt le virtuose européen ennemi de la tyrannie, Moussorgski pour sa compassion pour les gueux par exemple… C’est cette liberté de ton et d’engagement, la qualité d’écriture et l’érudition empathique qui rend sa lecture inestimable. Et qui nous manque.