Critique – musiques
Coffrets Classique pour Noel 2017
Remasterisation et commémoration aiguillonnent 2017
- Publié par
- 18 décembre 2017
- Critiques
- Opéra & Classique
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Comme chaque année, les coffrets se multiplient pour les fêtes de fin d’année relançant le fond de catalogue intégral de grands artistes, rendu possible par le rapprochement des labels et des recherches méticuleuses dans les archives. Le résultat flirte parfois avec la centaine de cd…Les enregistrements remastérisés sont une nouveauté de taille.
Ce travail d’ingénieur permet une nouvelle écoute de précieuses archives parfaitement éditées et rafraichies comme les intégrales Claudio Abbado 1933-2014) Opera Edition. 60 cd DG, Rudolf Serkin (1903-1991) 75cd Sony Classical , Gunter Wand (1912-2002). 33 cd RCA) , ou encore Murray Perahia Sony Classical
L’aiguillon principal reste toujours d’émouvantes commémorations : les 50 ans du décès du chef André Cluytens (1905-1967) 65 cd Erato , les 40 ans de celui de Maria Callas Live 1949-1964 42cd Warner), les 10 ans de ceux de Luciano Pavarotti (1935- 2007) Complete Operas. 95 cd Decca) et de Rostropovitch (1927-2007), The Complete Warner recordings (40 cd) . …
Que des pépites à offrir ou à découvrir tant que les lecteurs de cd restent vendus ou équipent les voitures. Les éditeurs les plus prudents ont déjà migré sur les plateformes de streaming comme Quobuz où leurs trésors peuvent être écoutés en Haute Définition. L’abonnement annuel deviendra alors le cadeau tendance…
The Karajan (1908-2019) The Complete DG & Decca recordings. 356 cd
L’éternité, et après ? Pour celui qui se rêvait et fut pour beaucoup de générations « le Maestro du siècle », l’hommage de son éditeur historique pour le centenaire de sa naissance en 2018 est à double tranchant : l’héritage est vraiment ‘kolossal’ avec ses 356 cd (pour 880 euros) surtout quand la principale accroche est « le plus grand coffret de l’histoire ». Nul doute que ce meuble en édition numérotée (2 500 ex.) contient des dizaines de références puisque le chef à vie du Philharmonie de Berlin a repéré, soutenu, accompagné plusieurs générations de solistes.
Du format du CD au meuble cuir. Ce contre-sens est-il à la hauteur de celui qui fou de technologies comptait sur celles-ci (du stéréo au numérique, de la pellicule à la vidéo digitale) pour incarner le chef absolu pour l’éternité ? Pour flatter post mortem le coté obscur de cet obsessionnel du marketing global n’a -t-on pas déjà oublié que c’est sa version de la 9eme symphonie qui fixa le format du Cd en 1982 et qu’il aurait été passionné par les enjeux du streaming HD pour la musique classique. Et que c’était sur le terrain de l’innovation qu’il fallait transcender ce legs si ambitieux. Une vraie occasion manquée qui confirme le déclin du cd.
Sviatoslav Richter. Live at Carnegie Hall 1960. 13 cd. Sony Classical
19, 28, 30 Octobre, 23 et 26 décembre 1960 : les rencontres historiques Est-Ouest ne sont pas seulement sportives, elles peuvent être aussi musicales. Les premiers récitals donnés au Carnegie Hall de New York par le pianiste russe Sviatoslav Richter en pleine guerre froide ont créé une véritable onde choc dans le monde du piano. Pensez donc ! Inconnu la veille le géant russe irréductible sortait quasi pour la première fois de son pays, et tétanisa le public pour s’imposer séances tenantes comme le Commandeur, l’oracle obsédé de pureté qu’il restera jusqu’à la fin de sa vie.
L’Amérique et le monde occidental découvrait un interprète marmoréen, qui semble commencer là où tant d’autres s’arrêtent pour défricher des chefs d’œuvre selon des voies connues de lui seul dans Beethoven et Schubert, mais aussi Scriabine, Prokofiev et Rachmaninov. La fascination reste intacte pour celui qui à la question « Qu’exigez-vous du piano ? », répondait : « J’exige davantage de moi-même. »
Exceptionnel l’est tout autant l’histoire de ces enregistrements réunis enfin pour la première fois en un seul coffret après maintes péripéties qui jusqu’à présent faisait la joie des collectionneurs.
Christian Ferras. The Complete HMV & Telefunken Recordings. 13 CD. Warner
35 ans après sa disparition volontaire prématurée à 49 ans, Christian Ferras (1933-1982) reste l’un des plus singuliers violonistes français : « l’un des maillons essentiels de l’histoire du violon français, pour son luthier Etienne Vathelot, dans la lignée d’un Jacques Thibaud et d’un Zino Francescatti. »
Son legs discographique – encore longtemps inaccessible ou disséminé - est enfin édité en un seul coffret et entièrement remasterisé. Cette qualité sonore permet de retrouver « cette fusion unique de force et de déchirement intérieur qui habitait toujours son jeu, qu’évoque si bien Patrick Chemla, l’un de ses élèves. C’est cette alchimie, toujours au bord du gouffre émotionnel, qui rend son phrasé merveilleux et si palpitant. »
L‘intégrale des sonates de Beethoven jouées avec son complice le pianiste Pierre Barbizet ou le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg (avec Georges Prête) ou le surprenant Concerto Hongrois de Gyula Bando conserve la mémoire de cette sensibilité exacerbée qui ne s’est jamais sans doute acclimatée aux exigences de la carrière d’un soliste de haut niveau.
Philippe Herreweghe. The Harmonia Mundi years. 30 cd
Si le chef baroque belge s’est autonomisé comme bon nombre de ses collègues (Gardiner, Savall) en créant son propre label PHI en 2010, la complicité et le soutien qu’il avait tissés avec le label Harmonia Mundi jadis indépendant de 1981 à 2008 lui a permis de forger un parcours discographique exemplaire dont témoigne ce coffret : près de 30 ans de conquêtes sonores sur des friches délaissées - qui investissait à l’époque sur les Desprez, Lassus, Hassler, de Lassus, Du Mont, Cardoso ?- et de relectures aériennes de chefs d’œuvres de la renaissance et baroque : des Cantates à la Messe en Si en passant par la Passion selon Matthieu de Bach aux Requiem de Mozart, Campra, Gilles et Fauré…
Entre le label aixois et le fondateur du chœur Collegium Vocale Gent (1970), de l’ensemble de la Chapelle Royale (1977), du Festival et Académie musicale de Saintes (1982) et l’Orchestre des Champs Elysées (1989), la confiance fut totale au point de l’accompagner aussi dans le XXème siècle (Schoenberg, Weill), et du XIXème (Berlioz, Brahms, Bruckner, Mendelssohn, Fauré). Sur un argument fort qui vaut manifeste pour ce chef engagé et exigeant : « Il y a plus de cohérence entre Bach, Stein, Schütz, Bruckner et même Webern qu’entre Bach et Haendel, que seuls unissent le hasard chronologique et quelques détails d’écriture. » Pour une synthèse vibrante de vie et d’émotions.
Vladimir Ashkenazy. A Personal Selection : The Solo & Chamber Recordings – The Complete Concerto Recordings. Decca
« Le don de l’Universel » c’est ainsi que le critique André Tubeuf titrait son portrait du pianiste russe, ayant quitté l’Union Soviétique en 1963 pour devenir citoyen du monde. Pour préciser : « Pianiste aux moyens titanesques capable des récitals colossaux, il est devenu chef d’orchestre témoignant un sens du son tout en douceur, et un chambriste accompli. Ainsi est Vladimir Ashkenazy : toutes les musiques en un seul homme. »
Les deux coffrets – enregistrements des concertos et en soliste ou chambriste – édités cette année à l’occasion des 80 ans de l’artiste ont été sélectionnés par ce dernier dans un patrimoine discographique de plus de 200 cd. Pour constituer un véritable condensé de son art – il ne croit pas à l’école russe du piano même s’il le porte dans son oreille – et brosser un magnifique portrait d’un interprète romantique au flamboiement intérieur, vénérant Beethoven et Scriabine. Avec une éthique exemplaire : « La musique parle d’elle-même. Je ne cherche qu’à être un miroir et à ne pas faire de l’ombre ». Mais à comprendre comme un miroir réfléchissant au sens propre et figuré du terme. Avec ses partenaires, chef, orchestre ou soliste : André Prévin, Itzhak Perlman, Lynn Harrell and Elisabeth Söderström en autres, il sait récréer les partitions.
Joshua Bell. The Classical collection. Sony 14 cd
« Je ne crois pas que l’étiquette de musicien américain suffit à me résumer. » Ni celle d’enfant prodige pourrait-on ajouter. Ni celle de cette expérience désormais célèbre puisqu’elle a valu au journaliste Gene Weingarten, le prix Pulitzer, où jouant dans le métro à l’heure de pointe dans l’anonymat il ne récolte que quelques dollars… Quinquagénaire depuis le 9 décembre 2017 , le violoniste Joshua Bell doit encore souvent lutter contre les stéréotypes qui collent à son parcours : trop fulgurant (reconnaissance à 14 ans auprès du Philadelphia Orchestra sous la direction de Riccardo Muti, signature à 18 ans avec Sony), trop lisse (un physique et une existence très peignée), trop calibré (avec les enregistrements prévisibles Les 4 Saisons, Beethoven, Brahms, même si c’est avec ses propres cadences, ou très américains : Bernstein, Gorigliano,…).
Il faut pourtant dépasser ce CV impeccable bourré de Grammy awards pour savoir écouter ce musicien engagé ! Un indice sous la décontraction très anglosaxonne : un perfectionnisme insatiable qui l’oblige à superviser l’édition de ses disques et à imposer des compositeurs méconnus (Goldmark), ou contemporain (Maw). L’éclectisme n’est pas une posture mais la démonstration qu’il faut faire bouger les lignes : coté bluegrass (avec son complice bassiste Edgar Meyer), coté cinéma (avec les bandes sons du Violon Rouge de François Giraud), coté direction d’orchestre : à la tête de l’ensemble The Academy of St Martin in the Fields depuis 2011 il succède à Neville Mariner. Ses Beethoven et ses Brahms ont de la trempe. Aussi arrêtons de parler de carrière ou de style - même si ce coffret en atteste l’épanouissement et la maturité- pour laisser place à l’essence de la musique : « Les œuvres se justifient par les émotions qu’elles vous procurent. » ‘Josh’ le met en pratique.