Théâtre en mai à Dijon
Vieilles branches et jeunes pousses
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- 14 mai 2012
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« En mai, fais ce qu’il te plait », fort du dicton, François Chattot qui dirige, à Dijon, le CDN Bourgogne, en profite pour afficher quelques unes de ses convictions. Parmi celles-ci, « que le théâtre est indécrottablement politique, ce qui le rend nécessaire à la communauté ». Et, pour mieux nous le prouver, met à l’affiche du Festival Théâtre en mai (du 16 au 27 mai) une douzaine de spectacles qui, sur tous les tons, tragiques ou comiques, conjuguent « poétique et politique », à commencer par la création maison, Si on s’y mettait tous , concoctée par le duo François Chattot - Jean-Louis Hourdin, avec, cette fois-ci, la complicité de Martine Schambacher et Christian Johanin. A y regarder de près cette « petite Fête de L’Humanité ambulante », comme nous le dit le sous-titre, pourrait bien être la suite du jubilatoire Veillons et armons-nous en pensée présenté il y a quelques saisons au Théâtre de Chaillot. Entre collages de textes et récits épars , le spectacle présenté dans un camion, met joyeusement les mains dans le cambouis de la mondialisation, des subprimes et autres folie du monde et se revendique, « farce contemporaine et itinérante interprétée par quatre bateleurs de la pensée et de l’action ».
Autre conviction de François Chattot qu’emblématise Théâtre en mai : la scène se doit d’être le lieu du partage, du brassage, où se mélangent non seulement les genres, les styles, les approches, mais aussi les générations. « Nous faisons, explique-t-il, un métier d’artisan, il faut assurer la transition, organiser le passage entre les vieilles branches et les jeunes pousses ». Et comment mieux le faire, sinon en donnant à voir le travail des jeunes équipes, notamment celles constituées au sortir des Ecoles nationales de théâtre. Au nombre de trois, les « jeunes pousses » invitées pour cette édition travaillent en bande et, à la notion de compagnie, préfèrent celle du collectif, tel le Théâtre Nomade, qui estime fécond « le tumulte que génère la création collective et met en action 100% des énergies ». La troupe en fait la preuve avec La dernière noce , qui mêle jeu, danse, musique, masques et, sur la trame d’un mariage, organise avec une ravageuse drôlerie, la collision de la vie privée, des revendications sociales et des enjeux de pouvoir.
Collectif aussi Le Ring-Théâtre qui, à travers le parcours de jeunes militants, leurs affrontements dans l’atelier d’un peintre où ils se réunissent, propose avec Quartier général une réflexion sur l’héritage et la perte de l’innocence . Trente ans après sa création au TEP, il n’est pas sans intérêt de voir quel regard les jeunes pousses du Théâtre Exalté portent sur la pièce de Michel Vinaver, Nina C’est autre chose . Comment, aujourd’hui, résonne le bouleversement que suscite l’irruption de Nina dans le quotidien un brin plan-plan de deux frères. De toute évidence c’est aussi à la catégorie « jeune pousse » qu’appartient la jeune comédienne auteure, Candice Beaudry, qui avec Gros savon , son premier spectacle, s’interroge sur un sujet qui inonde les pages de nos magazines : l’obésité. Seule en scène, elle décolle avec humour les étiquettes qui collent à la peau des gros.
Récits du monde
« Partage, confrontation, exploration des récits du monde », tels sont les axes de ce festival qui, cette saison, fait une très large place aux spectacles venus des quatre coins du monde. Le coup d’envoi sera donné avec la troupe de Corée Wuturi Players, dont on a pu voir, en 2009, Les Coréens de Michel Vinaver. Pour son retour, la troupe propose « une féerie héroïque avec danse, arts martiaux, masques et orchestre traditionnel » destinée à tous les publics ( Wutiri Histoire du bébé géant ). Pour tous les publics aussi, The animals and children took to the streets , l’aventure dans les bas-fonds d’une Mary Poppins du troisième millénaire, métissée de théâtre, musique, cinéma d’animation et toute tissée de fantastique et de merveilleux par la troupe britannique La Compagnie 1927.
C’est de toute évidence à la catégorie des vieilles branches nourricières qu’appartient Gémélos d’après le roman d’Agota Kristof, par la troupe Theatrocinema, avatar de la Troppa, qui fut, avec ce spectacle devenu mythique, une des révélations des années 90. Dans une manière de castelet, théâtre de poche où se multiplient les changements d’échelle et où les comédiens se font marionnettes, Gemelos raconte comment des jumeaux, réfugiés pendant la seconde guerre mondiale chez leur terrible grand-mère, font, avec un mélange de cynisme et de curiosité, l’apprentissage de la vie. A travers leur douloureux itinéraire, la troupe dessine en filigrane, l’histoire du Chili sous la dictature de Pinochet et nous fait percevoir de façon saisissante le pouvoir dévastateur de toutes les guerres.
En français surtitré, venus d’Israël (Jérusalem Plomb durci), d’Italie (Alexis, une tragédie grecque), d’ Ukraine ( Le Roi Lear prologue), de Catalogne ( A l’Altrabanda/ de l’autre côté) un spectacle autour de la guerre d’Espagne, créés en français ( Le Peupe d’Icare de Dan Arthus, Vigile satire sécuritaire du Théâtre Group’ de Besançon) ou encore en dialecte alsacien tel Dreck/ Saleté avec Luc Schillinger, bouleversant monologue de l’auteur autrichien Robert Schneider qui narre, avec une cinglante ironie, l’histoire d’un clandestin irakien réfugié à Vienne, les spectacles que propose Théâtre en mai, du rire aux larmes, tentent de répondre à cette cruciale question : « que peut le poète face à une planète qui craque de partout ».
De multiples débats et rencontres émaillent une manifestation aussi turbulente que festive et conviviale. Et puisque Dijon est au cœur de la Bourgogne, région éminemment viticole, c’est autour d’apéros qui favorisent la conversation, qu’auront lieu les rencontres avec les artistes invités.
Théâtre en mai du 16 au 27 mai
Théâtre Dijon Bourgogne tel 03 80 30 12 12 www.tdb-cdn.com
(photo F.Chattot)