Plonger de Sarah Devaux

• Publié par Michel Voiturier
• 20 décembre 2023
• Critiques
• Théâtre
• 0
• 

L’autrice qui a en partie inspiré ce spectacle, Anne Dufourmantelle, en écrivant son « Éloge du risque », savait de quoi elle parlait. Dans sa réalité, son attitude vie s’est concrétisée par son décès lors d’une tentative de sauver deux enfants en train de se noyer. En montant ce spectacle, Sarah Devaux sait aussi de quoi elle parle. Sa prestation circassienne acrobatique est basée sur le déséquilibre et le danger imminent de la chute.

Nuit noire. Un peu sonore. L’éclairage progressif rend peu à peu discernable la silhouette d’une femme, avant de l’associer à la silhouette en acier d’un plongeoir de piscine. La femme est sur la planche, à une dizaine de mètres du sol, de plus en plus près du bord. C’est l’ « Insomniaque en maillot » annoncée par le programme. Tout est lent, sorte d’apesanteur temporelle. Dépourvu de toute nervosité. Libéré de toute autre préoccupation que la concentration. Retentit alors la voix métallique d’un personnage jusque là invisible, assis derrière un guichet. C’est l’autre protagoniste annoncé : le « Concierge de la piscine  ».

Décor planté. Action commencée. Nous voici au sein d’une nuit éclairée, mystérieuse, fantasmatique. Nous voici dans un lieu de loisirs et de sports. Mais peut-être aussi dans la pensée ou le rêve de la nageuse ; elle-même, peut-être compétitrice en séance d’entraînement ou dépressive en phase ultime. Nous sommes, nous, assis dans les fauteuils d’une salle de spectacle, en train d’entrer dans une histoire, une fiction.

Nous restons cependant, comme au cours d’un spectacle de cirque, sensibles au danger permanent d’une chute. La représentation s’organise autour de ces ambiguïtés. Hybride entre théâtre, cirque, conte fantastique, réflexion ; avec une piscine à la fois flaque, aquarium et mer, prolongée par un reflet d’eau vertical comme une cascade.

Le dialogue se bâtit autour de réalités susceptibles d’être imaginaires. Les mots expriment le travail physique préparatoire à la plongée. Ils énumèrent les zones sous-marines. Ils s’attachent aux sensations corporelles et mentales du plongeur. Ils laissent percevoir les portées symboliques du langage quand il s’agit du plongeon. Cela résonne comme une sorte de poème envoyé à travers le grand vide de cette piscine nocturne.

Entre la nageuse et le fonctionnaire s’établissent une interaction, une connivence, un jeu d’alternance. Tous deux profitent de leur expérience acrobatique pour se créer des chorégraphies stylisées. Cela se joue entre maîtrise et fragilité. Partenaire ou adversaire, ils évoluent dans l’espace avant d’aboutir devant une eau redevenue celle des océans, celle qui brasse poissons, embarcations, marins dans un flux croissant porté par une bande son désormais dévolue au seul ressac.

Tout devient mélange où se retrouvent des éléments mythologiques comme une apparition triomphante de Neptune. L’imaginaire triomphe en apothéose tandis que mouvements et éclairages parviennent à transcender la pauvreté de la matière dont est fait le décor.

Durée 1h10
12>16.12.2023 Varia Bruxelles (Be)
19.12.2023 Maison de la Culture Tournai (Be)
14.04.2024 Le Columban Wavre (Be)