Paris, Théâtre du Vieux-Colombier

Oblomov d’Ivan Alexandrovitch Gontcharov

Guillaume Gallienne, bouleversant d’oblomovisme

Oblomov d'Ivan Alexandrovitch Gontcharov

Oblomov souffre d’une oisiveté matinée de mélancolie, une sorte de langueur de neurasthénie définitive. L’écrivain russe Gontcharov a élevé son personnage au rang de type littéraire, de mythe universel au point qu’Oblomov dit de lui-même qu’il souffre « d’oblomovisme », terme qui figure dans les dictionnaires russes (en russe Oblomok signifie « tesson, débris »).

Propriétaire terrien, Oblomov vit de ses rentes et se fait servir par un domestique (Yves Gasc) qu’il traite comme un esclave, comme il l’a toujours vu faire dans sa famille. Du matin au soir et du soir au matin, il reste enveloppé dans une grande robe de chambre rouge, recroquevillé, pelotonné sur sa méridienne, fuyant dans le sommeil la lumière du jour et toute vie sociale. Dans ses rêves, il retrouve de manière obsessionnelle son enfance, sa mère, la maison familiale. Les très belles projections vidéo de Thomas Ratier évoquent l’univers étrange des rêves, le télescopage des images, la distorsion de la durée et des sons, etc.).

Mais la réalité se charge de rattraper ce aboulique chronique : il va être expulsé de son appartement et le loyer de ses terres n’est plus acquitté, deux événements hautement symboliques. Rien n’y fait, ni ces menaces pourtant concrètes, ni les efforts de ses amis, Alexeïev (Nicolas Lormeau) et surtout Stolz (Sébastien Pouderoux), voyageur et hyperactif, qui a juré de le sortir de sa léthargie, ni Olga (Marie-Sophie Ferdane) qui le charme en lui chantant Casta diva (air célèbre de Norma de Bellini) qui lui rappelle son enfance. Oblomov, un instant étourdi par le sentiment amoureux qui l’étreint et semble le ressusciter, s’effraie à l’idée de perdre cet amour et renonce définitivement à cet éclair de vie : il fonde une famille avec sa logeuse (Céline Samie) auprès de laquelle il retrouve confusément la figure de sa mère.

La mise en scène de Volodia Serre, loin de toute tentation de lecture psychanalytique, souligne la comédie derrière le drame de cet homme qui tourne le dos à l’avenir et dont Gontcharov se moque. On rit du ridicule du personnage, même si Guillaume Gallienne sait rend attendrissant cet homme fragile, miné par un mal-être mystérieux ; les duos avec Yves Gasc, ont l’esprit d’un dialogue de Molière ; les scènes avec Marie-Sophie Ferdane, rieuse et grave à la fois, tiennent de la comédie romantique à la Musset ; pour un peu on prierait pour qu’elle parvienne à l’arracher à son immobilisme.

Tout est réussi dans ce spectacle (à part le décor sans grande inspiration et les robes de Marie-Sophie Ferdane qui se disputent la palme de la laideur) : Un roman réaliste magistral, une traduction remarquable d’André Markowicz, une adaptation et une mise en scène de Volodia Serre de haute tenue, un choix de distribution sans faille, et surtout un spectacle emmené trois heures durant par un Guillaume Gallienne qui trouve dans ce rôle l’occasion de déployer l’étendue de son talent et la force de sa présence. Son Oblomov est à la fois un enfant perdu, un enfant gâté, un égoïste, un être fragile, bougon, malheureux, exaspérant, ridicule, finalement bouleversant.

Oblomov d’Ivan Alexandrovitch Gontcharov, traduction André Markowicz, adaptation et mise en scène Volodia Serre ; scénographie, Marc Lainé ; vidéo, Thomas Ratier ; Costumes, Hanna Sjödin ; Lumières, Kévin Briard ; réalisation sonore, Frédéric Minière. Avec Yves GAsc, Céline Samie, Guillaume Gallienne, Nicolas Lormeau, Marie-Sophie Ferdane, Sébastien Pouderoux. Avec la voix de Daniil Gorbylev. Au théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 9 juin 2013, du mardi au samedi à 20h. Durée : 3h. résa : 0825 10 16 80.
www.comedie-francaise.fr

Photo : Brigitte Enguérand

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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