Critique – Opéra & Classique

Madama Butterfly de Giacomo Puccini

Quand la geisha se dote de l’âme d’une marionnette

Madama Butterfly de Giacomo Puccini

Toujours « hors les murs » pour causes de travaux interminables, sous la vaste tente qui lui sert de refuge au sein du site Tour & Taxis, La Monnaie/De Munt, la maison d’opéra de Bruxelles, présente une version japonisante de l’un des plus célèbres opéras de Puccini, cette Madama Butterfly au romantisme tire-larmes et aux grands airs qui s’incrustent sitôt entendus dans les mémoires et les oreilles.

On la voit peu cependant cette Butterfly, petite geisha au destin tragique, abusée par le cynisme d’un lieutenant de l’US Navy qui l’avait épousée en noces locales pour passer le temps. Du même Puccini (1858-1954) on lui préfère ses Bohème, Tosca ou autre Turandot. L’Opéra de Paris l’avait ornée en 2002 des abstractions géométriques de Robert Wilson, production reprise deux fois (voir WT 2645 du 24 janvier 2011 & 4018 du 17 février 2014).
La Monnaie en a confié la réalisation à Kirsten Dehlholm, metteur en scène danoise associée au collectif Hotel Pro Forma, qui avait déjà signé pour cette même institution la mise en scène de Troïka Rachmaninov (voir WB 4701du 5 juillet 2015).

Elle plonge à son tour dans le tourbillon des abstractions et des symboles. Et va plus loin en métamorphosant Cio-Cio-San en une marionnette grandeur nature que font vivre très adroitement quatre manipulateurs. Chevelure noire tombant sur les épaules, traits pâles, mains promeneuses et démarche en sauts gracieux, elle s’identifie naturellement à la poupée de 15 ans d’âge dont le militaire américain a fait son jouet. Sa voix vient d’ailleurs : d’un double humain, placé à l’avant- scène. Un double vieilli aux longs cheveux grisonnants.
A ce niveau les intentions de la mise en scène se troublent. Qui est-elle ? Le fantôme de l’adolescente suicidée qui aurait traversé la vie à sa place ? C’est pousser un peu loin le second degré d’une situation de mélo traditionnel.

L’ensemble de la mise en scène tend bras et jambes vers la chorégraphie comme en témoigne d’entrée de jeu la démarche chaloupée Pinkerton sur chaussures pointues de clown. Décors et costumes inventent un Japon de fantaisie ponctué de références théâtrales ou musicales comme le théâtre Nô. Un toit de pagode en bois clair surplombe l’espace, des jeux d’objets et de lumières le meublent : des panneaux latéraux se colorent et s’animent, des guirlandes multicolores tombent des cintres comme des points d’exclamation, des éventails s’agitent, deux cercles évoquent des lunettes de jumelles où navigue le navire de Pinkerton, ex-navire de guerre devenu gigantesque paquebot de croisière.

Clairs obscurs, ombres chinoises, costumes plissés carnavalesques, lumières sophistiquées : l’esthétique raffinée des tableaux qui se succèdent restent la marque de fabrique Hotel Pro Forma, mais, comme avec la Troïka Rachmaninov pas toujours en lien avec l’œuvre qu’elle illustre.

Deux distributions se partagent les rôles principaux. Celle du 7 février affichait Amanda Echalaz, soprano sud-africaine en double (vieilli, enlaidi) de la geisha articulée, sa riche tessiture filait en puissance, en contradiction avec la fragilité décrétée de la marionnette.

L’acoustique du lieu impose des sonorisations. Elles ont leur efficacité en termes de projection, mais, revers de la médaille, elles maquillent une part humaine des voix. En Pinkerton bravache, le ténor Leonardo Caimi en bénéficie sans altération, timbre clair, diction précise et jeu empesé. La contralto franco-chinoise Qiulin Zhang insuffle inquiétude maternelle en graves pensifs à Suzuki, la suivante.

Le chef italien Roberto Rizzi Brignoli connaît les répertoires des compositeurs de son pays jusqu’au bout de sa frémissante baguette. Puccini se classe parmi ses favoris, il sait comment en servir les élans flamboyants. Il les communique aux instrumentistes de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie qui lui répondent en ferveur et intensité.

Madama Butterfly de Giacomo Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, orchestre et chœur de La Monnaie, direction Roberto Rizzi Brignoli, chef des chœurs Martino Faggiani, mise en scène Kirsten Dehlholm (Hotel Pro Forma), décors Maja Ziska, costumes Henrik Vibskov, lumières Jesper Kongshaug. Avec Amanda Echalaz (et Alexia Voulgaridou), Qiulin Zhang (et Ning Liang) Leonardo Caimi (et Marcelo Puente), Marta Bereta, Aris Argiris, Riccardo Botta….

Palais de la Monnaie (Tour & Taxis), les 31 janvier, 1, 2, 3, 7, 8, 9, 10 & 14 février à 20h, les 5 & 12 février à 15h.

+32 (0)2 229 12 11 – www.lamonnaie.be

Photos Baus/La Monnaie

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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