Paris, théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet jusqu’au 12 juin 2010

Les amours tragiques de Pyrame et Thisbe de Théophile de Viau

Quand la parole devient musique à la lueur des bougies...

Les amours tragiques de Pyrame et Thisbe de Théophile de Viau

Théophile de Viau et son unique tragédie ressuscités en v.o. : une nouvelle réussite de Benjamin Lazar, cet amoureux fou du XVIIème siècle, qui, depuis plusieurs années, nous émerveille avec ses reconstitutions à l’identique des spectacles joués en ce temps-là.

Éclairages à la bougie, gestique baroque et préciosité du parler où sifflent les « s » des pluriels, ronflent les « r » des fins d’infinitifs et où les « ouah » sont transformés en « ouéh », les « rois » des « roués »… On lui doit un Bourgeois Gentilhomme où Lully est célébré à parts égales avec Molière, les opéras Cadmus et Hermione du même Lully, ou Il sant’Alessio de Landi, ou encore cet Autre Monde rocambolesque de Savien Cyrano de Bergerac qu’accompagnaient les airs de Marin Marais ou de Monsieur de Sainte Colombe, autant de subtils alliages où la musique est en permanence solidaire des mots et des images (voir webthea des 16 mars 2006, 26 novembre 2007, 25 janvier et 13 avril 2008).

Au service d’un texte nu

Avec Les Amours Tragiques de Pyrame et Thisbé qui vient d’être créé à Caen avant une tournée qui aboutira en mai 2010 au Théâtre de l’Athénée de Paris, il utilise pour la première ses techniques au service d’un texte nu. Et la magie opère à travers l’épure de ces alexandrins qui ne se substituent pas à la musique, qui sont musique…

Nés au sein de familles ennemies deux jeunes gens s’aiment malgré les interdits et en meurent. Pyrame et Thisbé sont cousins par alliance de pensée et de poésie de Roméo et Juliette, et, à l’époque où ils virent le jour sur les planches, la tragédie de Théophile de Viau, inspirée des Métamorphoses d’Ovide, était plus célèbre et plus jouée que celle de Shakespeare. Celui-ci en fit d’ailleurs une parodie dans son Songe d’une nuit d’été où les compères, apprentis acteurs la répètent et la jouent sur le mode burlesque. Le temps consacra le chef d’œuvre shakespearien tandis que celui de De Viau entrait dans les archives. Le redécouvrir aujourd’hui dans son contexte et sa ferveur est plus qu’une curiosité muséale, un vrai plaisir.

Le refus de se plier aux dogmes

Car dans cette tragédie de l’amour libéré qui est l’unique pièce de théâtre du poète on retrouve le sceau de l’esprit libertaire de son auteur, son refus de se plier aux dogmes, qu’ils soient dictés par l’église, par la monarchie ou par la famille, une attitude qui lui vaudra bannissement, exil, prison. Affaibli par ces années de galère, le poète qui sculptait le verbe comme un matériau précieux, mourut à l’âge de 30 ans.

La réalisation de Benjamin Lazar et de ses compagnons du Théâtre de l’Incrédule, la troupe qu’il fonda en 2004, joue sur le principe « a minima ». De très beaux costumes conjugués essentiellement en noir et blanc, peu de décors sinon quelques panneaux mobiles sertis de bougies et manipulés à vue pour ouvrir et refermer les espaces des actions. On retrouve cette fameuse gestique baroque qui tient lieu de chorégraphie, ses attitudes codées suivant l’identité des tableaux, tantôt de comédies, tantôt de drame. Enfin cette diction précieuse, également codée, qui donne sens et musicalité à l’anecdote.

Benjamin Lazar est Pyrame, être frêle et dansant, Louise Moaty, sa principale collaboratrice qui co-signe la plupart de ses spectacles, figure une Thisbé à la fois gracieuse et solide, Nicolas Vial campe un « roy », monarque-marionnette aux pleins pouvoirs… Les quatre autres comédiens de la troupe jouent les Frégolis en se partageant tous les autres rôles.

Des charivaris à mourir de rire

Et, pour mieux prouver leurs capacités à passer d’un registre à l’autre, Benjamin Lazar fait précéder la tragédie par un succulent lever de rideau :La Farce des Bossus, texte anonyme tiré des « farces tabariniques » ces petits textes de théâtre populaire contemporains de Théophile de Viau qui explosent en joyeuse amoralité, on y pète, on y chie, on y baise, on y tue dans le plus invraisemblable des charivaris et c’est à mourir de rire.

Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau, précédé par La farce des bossus, mises en scène Benjamin Lazar, collaboration artistique Louise Moaty, scénographie Adeline Caron, costumes Alain Blanchot, lumières Christophe Naillet, maquillages Mathilde Benmoussa. Avec Benjamin Lazar, Louise Moaty, Lorenzo Charoy, Julien Cigana, Anne-Guersande Ledoux, Alexandra Rübner, Nicolas Vial.

Paris, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet : du 27 mai au 12 juin 2010. Réservations : 01 53 05 19 19 www.athenee-theatre.com

crédits photos : Nathaniel Baruch

Première publication le 26 octobre 2009

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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