Le siècle de Ligeti

Né en Transylvanie en 1923, Ligeti aurait cent ans. Radio France célèbre ce musicien né au pays de Dracula.

Le siècle de Ligeti

GYÖRGY LIGETI EST MORT À VIENNE EN 2006. C’est dans cette ville qu’il s’est réfugié après avoir fui la malheureuse Hongrie victime, en 1956, de la répression communiste. Personnalité typique d’une certaine Mittel Europa, György Ligeti a intégré le studio de Stockhausen à Cologne, a croisé Boulez et Berio, a travaillé avec Maurizio Kagel – mais a toujours souhaité garder son quant-à-soi. L’humour féroce qui caractérise certaines de ses œuvres (dont Le Grand Macabre, qu’on pourra entendre le 2 décembre à Radio France) devait le prémunir contre les chapelles et autres doxologies.

Radio France a très bien fait de confier à François-Xavier Roth le soin de diriger trois des quatre concerts d’un cycle consacré au compositeur hongrois. Le premier, donné le 23 décembre par l’Orchestre national de France, a permis de retrouver deux œuvres qui ont assis la célébrité de Ligeti, ne fût-ce que via leur utilisation par le cinéma (on pense évidemment à 2001, l’Odyssée de l’espace) : Atmosphères et Lontano. Dans les deux cas, il s’agit d’œuvres qu’on qualifiera de planantes, faites de longues tenues instrumentales qui nécessitent une mise en place minutieuse. L’Orchestre national est à son affaire dans ce type d’exercice. Ce qui explique peut-être, a contrario, la relative indifférence avec laquelle l’orchestre, faute de répétitions approfondies de cette œuvre, aborde la Totentanz de Liszt, jouée pourtant avec beaucoup d’engagement par le pianiste François Dumont. Cuivres débonnaires, cordes souriantes : on est loin ici d’une danse macabre implacable.

Tout change avec Le Mandarin merveilleux de Bartók, donné ici dans sa version intégrale, avec la participation, à la fin, de huit voix. On retrouve un Orchestre national éblouissant de virtuosité (les bois !), très à l’aise dans les changements de rythme et de tempo, habile à négocier tous les dérapages dont est semée la partition et à faire de l’impétueuse danse fuguée une espèce de bacchanale. Et comme nous l’avions déjà remarqué lors d’un précédent concert, ce type de musique sauvage et pleine d’imprévus dépayse davantage que les lacs irisés alla Ligeti.

On ajoutera que ce concert permettait aussi d’entendre le Ricercare pour orgue de Ligeti, joué par Lucile avec une délicate sensibilité.

Vents debout

Nous n’avons pas pu assister au concert donné le 26 novembre dans le cadre des Matins du national, mais voici de nouveau François-Xavier Roth, le 28, cette fois à la tête de son orchestre Les Siècles. Au programme, d’abord, le Kammerkonzert (Concerto de chambre, clin d’œil à celui d’Alban Berg), œuvre conçue par Ligeti dès 1969. Une partition concise, faite de sonorités instrumentales délicatement ciselées, avec un troisième mouvement frénétique et d’une extrême précision rythmique, qui peut évoquer, si l’on se concentre sur les parties de clavier (clavecin, piano, orgue, célesta), certaines pièces de vertige telles que Continuum ou Coulée. Plus systématique, le Presto final a quelque chose d’un exercice un peu répétitif.

Le Concerto pour piano qui suit, abordé avec aplomb et finesse par Jean-Frédéric Neuburger, est moins un concerto qu’une partition pour petit orchestre (équipé d’un ocarina !) avec piano principal. Installé côté jardin, à l’écart des autres musiciens, le piano ne dialogue jamais avec iceux et se fond au contraire dans l’ensemble instrumental. Le début peut évoquer Bartók – notamment la Musique pour piano, célesta et percussions – mais c’est le deuxième mouvement qui séduit le plus. En s’appuyant au départ sur la seule flûte, ce « Lento e deserto » fait intervenir graduellement chacun des instruments dans un crescendo en forme de transe.

Dans la seconde partie du concert, François-Xavier Roth dirige le Troisième Concerto pour violon de Mozart, avec une radieuse Isabelle Faust, et la Symphonie n° 35 « Haffner » (il est vrai qu’il vient à peine de quitter La Flûte enchantée au Théâtre des Champs-Élysées !). Les cordes sans vibrato font merveille dans cette musique, et le chef se plaît à faire jouer les vents debout, modifiant légèrement la disposition de l’ensemble si dans tel mouvement les flûtes s’effacent ou au contraire les hautbois doivent s’affirmer. De l’énergie, de la dynamique, du phrasé – Mozart comme on l’aime.

Illustration : György Ligeti par Marion Kalter (dr)

György Ligeti : Lontano, Atmosphère, Ricercare (+ Liszt, Bartók). François Dumont, piano ; Lucile Dollat, orgue ; Orchestre national de France, dir. François-Xavier Roth. Radio France, jeudi 23 novembre 2023.
György Ligeti : Kammerkonzert pour treize instruments, Concerto pour piano (+ Mozart). Isabelle Faust, violon ; Jean-Frédéric Neuburger, piano. Les Siècles, dir. François-Xavier Roth. Radio France, mardi 28 novembre 2023.
Prochain rendez-vous avec György Ligeti : Le Grand Macabre, le samedi 2 décembre à 20h à l’Auditorium de Radio France, avec l’Orchestre national de France, dir. François-Xavier Roth (en coproduction avec le Festival d’automne).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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