De l’art de jouer du piano

Marie-Ange Nguci et Nicolas Stavy, autant par leur toucher que par leurs choix de répertoire, s’aventurent loin des sentiers battus.

De l'art de jouer du piano

ON CÉLÈBRE CETTE ANNÉE les cent ans de la naissance de György Ligeti. En attendant Le Grand Macabre qui y sera représenté le 2 décembre prochain*, l’Auditorium de Radio France accueillait la jeune pianiste Marie-Ange Nguci, ancienne élève du regretté Nicholas Angelich au Conservatoire de Paris. Au programme de ce récital, notamment : trois Études de Ligeti (Automne à Varsovie, Cordes à vide, L’Escalier du diable), qui réjouissent. Car il s’agit là de pages qui utilisent les possibilités sonores de l’instrument tout en multipliant les superpositions rythmiques, les contrastes dynamiques, les recherches de timbre, etc. Avec à l’esprit le souci de rendre poétiques des recherches qui n’ont rien de mécaniques ou de purement virtuoses. On est plus près ici des Études de Chopin, de Schumann ou de Liszt, que des exercices façon Czerny.

Étrangement, la Cinquième Sonate de Scriabine, qui ouvrait le programme, dépayse davantage – par sa forme, insaisissable, par sa coda, qui n’en est pas une, harmoniquement déconcertante –, alors qu’elle a été composée trois quarts de siècle plus tôt. Il y a un monde entre Scriabine l’aventurier et le Rachmaninov des Variations sur un thème de Chopin (le Prélude opus 28 n° 20), rigoureusement agencées, que l’on suit pas à pas dans l’invention toujours généreuse de celui qui fut, à deux ans près, le contemporain de Scriabine.

Marie-Ange Nguci est aussi à l’aise dans les labyrinthes de Ligeti et de Scriabine que dans le bel ordonnancement de Rachmaninov. On n’insistera pas sur les qualités de son touché ni sur son art des couleurs. Il y a chez elle une maîtrise souveraine du piano qui fait également merveille dans l’inquiétante Sixième Sonate de Prokofiev, dont le finale, par la richesse de sa construction, est une sonate en soi.

Nouvelles aventures

Trois jours plus tard, on retrouve avec bonheur Nicolas Stavy, à l’occasion, également, d’un programme hors du commun, conçu à partir des Variations en ré majeur composées par un Richard Strauss de quatorze ans. Le manuscrit de ces variations se trouve en effet dans les collections de la Bibliothèque nationale de France, et c’est dans le cadre de la saison musicale européenne de la BnF, organisée en partenariat avec Radio France, qu’avait lieu ce récital. Un peu mozartiennes au depart, très beethovéniennes par la suite, les Variations de Strauss nous conduisent vers la fin assez loin. Sans être démonstratives, elles sont l’occasion pour le jeune compositeur de montrer ce qu’il sait faire !

Les Papillons de Schumann, dont le manuscrit fait partie lui aussi des collections de la BnF, ouvrait le récital. On connaît bien cette page qui est déjà un carnaval, c’est-à-dire une suite de portraits dansants, instables, télescopés. On connaît moins en revanche les deux cycles de variations de Brahms (le Thème et variations en ré mineur op. 18b, qui reprend le deuxième mouvement de son Premier Sextuor à cordes, et les Variations sur un thème original en ré majeur op. 21/1) inscrites à la suite du programme. On découvre là un Brahms lyrique et puissant, que Nicolas Stavy aborde avec son art habituel de l’articulation et de la pondération sonore ; jamais la beauté du son n’est troublée chez lui par un excès de pédale.

Dans la transcription faite par Brahms de la Chaconne de la Partita pour violon BWV 1004 de Bach (là où Busoni, selon Nicolas Stavy, signe de la même œuvre une paraphrase), on retrouve les mêmes vertus, mais il est également vertigineux de voir Nicolas Stavy chercher (et bien sûr trouver !) son équilibre. Car cette chaconne est jouée par la main gauche seule, et oblige le pianiste, pendant un quart d’heure, à solliciter d’une manière très particulière ses muscles du dos. Où la physique rejoint la métaphysique.

Illustration : Marie-Ange Nguci (photo Valentine Chauvin)

* Par l’Orchestre national de France sous la direction de François-Xavier Roth, avec notamment Robin Adams, Sarah Aristidou et Lucile Richardot, dans une mise en scène de Benjamin Lazar.

Scriabine, Rachmaninov, Ligeti, Prokofiev ; Marie-Ange Nguci, piano. Auditorium de Radio France, 23 mai 2023.
Schumann, Brahms, R. Strauss, Bach/Brahms ; Nicolas Stavy, piano. Auditorium de la Bibliothèque nationale de France, 26 mai 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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