Critique – Opéra/Classique

Le jour où j’ai rencontré Franz Liszt

Pascal Amoyel interprète Liszt, entre récit intime et légende

 Le jour où j'ai rencontré Franz Liszt

Si Liszt inventa le récital, Amoyel invente le ‘récit musical’. Après le très réussi ’Cziffra, le pianiste aux 50 doigts’, le pianiste français a trouvé la recette gagnante du récital pianistique associant musique, récit personnel et histoire musicale. « Le jour où j’ai rencontré Franz Liszt » créé le 15 novembre 2014 au Festival "Notes d’Automne" du Perreux sur Marne dont il est le directeur artistique conte l’histoire d’un aspirant pianiste qui s’identifie, l’espace d’un récital, à un génie.

A la fois passeur, conteur, biographe et interprète, Amoyel joue et livre son Liszt autant qu’il se met en scène, égrène sa rencontre et son intimité avec les œuvres du compositeur tout en racontant le parcours d’un enfant prodige qui devient musicien star pour se retirer à 35 ans au fait de sa gloire et se consacrer à Dieu et la musique. L’approche est personnelle voire intime quand il évoque ce grand père qui lui fit découvrir Liszt ou Cziffra son maitre dont il fut l’un de ses disciples. Avec la ferme intention, comme il le revendique dans sa note de programme de bousculer les stéréotypes les plus tenaces : « Au delà de l’image éculée du romantique échevelé, du virtuose légendaire, c’est avant tout au visionnaire unique dans l’histoire de l’art qui parvint à condenser toute la destinée humaine dans sa musique que je souhaite rendre hommage avec mes mots et mon piano. »

D’autres vies que la mienne, le magnifique titre du roman d’Emmanuel Carrère convient parfaitement à la dynamique de ce spectacle dense et sans baisse de tension. Se jouant du code du récital classique où l’interprète mutique reste collé à son instrument, la mise en scène de Christian Fromont donne au contraire toute liberté à Amoyel de se prendre pour son personnage, recherché par toutes les têtes couronnées d’Europe jusqu’en Turquie, d’arpenter la scène à la recherche d’une mystérieuse force vitale, de plonger dans le ventre de l’instrument et …de retourner parfois échevelé à son clavier pour donner vie à la musique : l’immense répertoire que Liszt remit au goût du jour comme celui qu’il légua à la postérité.

Racé et plein d’esprit, le jeu du pianiste rend justice aux compositeurs qu’il invite à entendre dans ce contexte si particulier : d’un Prélude du Clavier Bien tempéré I de Bach à La petite tartine de beurre ou La marche turque de Mozart en passant par la 7éme symphonie de Beethoven retranscrite par Liszt et évidemment de larges plages de Liszt : La Vallée d’Obermann (1ère Année de Pèlerinage), Légende de Saint François de Paule marchant sur les eaux, et en bis l’admirable Chant du berceau. Le programme est très dense, interprété sans surprise avec un sens aigu de la narration. Pascal Amoyel y est à son affaire avec une maîtrise remarquable des contrastes, de la respiration, et des plans sonores. On ne peut qu’apprécier la simplicité de ton, la véracité toute simple de notes exposées si intimement.

Ponctuée de brèves anecdotes, la matière sonore gagne en profondeur et en relief. La qualité de la musique n’est jamais compromise par le récit. Au contraire, elle éclaire un voyage conçu en un tout organique, plastique et intime.

La réussite du musicien, sa volonté de transmission, est de mettre en valeur, dans les vies qu’il tente de restituer, quel¬que chose qui lui échappe, qui demeure incompréhensible ; quelque chose qui, de fait, relève de l’extraordinaire. Entre Cziffra, Liszt et bien d’autres musiciens, il y a tant à s’émerveiller. Et que Pascal Amoyel sait nous faire partager.

On en ressort avec la frustration que la musique ne dure pas plus longtemps (une heure vingt minutes environ, sans les rappels qui prolongent le plaisir ressenti) et que d’autres interprètes ne se prêtent pas davantage sur scène à ce ‘récit musical’ pour nous livrer leur autobiographie diffractée.

Théatre Le Ranelagh, du 2 décembre au 28 février - du mercredi au samedi 20h45 et le dimanche 17h
5 rue des Vignes, Paris 75016 Réservation : 01 42 88 64 44 – www.theatre-ranelagh.com

A propos de l'auteur
Olivier Olgan
Olivier Olgan

Diplômé de Sciences Po et licence de Droit, parallèlement à une carrière de consultant en communication institutionnelle et culturelle, Olivier Le Guay - Olgan a contribué à la rubrique musicale et multimédia de La Tribune de 1991 à 2006, et effectué de...

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