Le Rouge et le Noir de Stendhal par Catherine Marnas au TnBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine

Un roman emblématique, entre amour et ambition, porté sur la scène avec talent.

Le Rouge et le Noir de Stendhal par Catherine Marnas au TnBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine

Grand roman de la passion amoureuse et de l’ambition, Le Rouge et le Noir de Stendhal est un classique qui a fait rêver des générations entières et successives. Le lit-on aujourd’hui comme il se devait auparavant ? La pièce, adaptée et mise en scène par Catherine Marnas, directrice jusqu’au 4 janvier 2024 du TnBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine -, s’ouvre par la fatalité brute d’un destin. Ainsi, le procès de Julien Sorel, icône masculine de l’oeuvre, qui est jugé pour avoir voulu tuer son ex-amante, Madame de Rênal. Soit le portrait d’un être de peu habité de haine face à l’injustice de classe, fils d’artisan, instruit et de caractère dont le charme le hissera socialement.

L’action du roman a lieu sous la Restauration, à Verrières, en Franche-Comté. Julien Sorel, le protagoniste, apparaît comme une « personne déplacée », étant donné son origine humble, dans les milieux autres traversés. De constitution fragile, contrairement à père et frères, il est passionné de lecture : Le Mémorial de Sainte-Hélène, les conquêtes napoléoniennes, et il entre dans les ordres, rêvant des épopées militaires, devenant l’élève des puissants Jésuites de la Restauration.

M. de Rênal, maire ultra de Verrières, engage le séminariste comme précepteur : « Les enfants l’adoraient, lui ne les aimait point ; sa pensée était ailleurs. » L’intrigue amoureuse se noue à la campagne, et Julien, pour l’avoir décidé ainsi, se fait l’amant de Mme de Rênal. L’idylle s’arrête par la maladie d’un fils que sa mère traduit comme une punition divine. Le protecteur de Julien, le curé Chélan, l’envoie au grand séminaire de Besançon ; il se lie avec son directeur l’abbé Picard qui lui obtient un poste de secrétaire à Paris, près du marquis de La Mole, grand seigneur franc-comtois.

L’esprit et la culture de Julien séduisent le marquis ; son tempérament et son originalité troublent sa fille Mathilde. Brouilles, petites haines et jalousie font un va-et-vient entre frictions et réconciliations dont Julien triomphe : le marquis, à la nouvelle que sa fille attend un enfant, consent au mariage ; Julien Sorel est désormais le chevalier de La Vernaye, lieutenant des hussards au régiment de Strasbourg.

Energie vindicative, succès de missions, atmosphères secrètes, le rêve devenu réalité s’effondre par une lettre de Mme de Rênal au marquis de La Mole. Julien se rend à Verrières et tire sur la délatrice. Sa vie, comme il l’écrit à Mathilde depuis sa prison, n’aura été qu’une « longue préparation au malheur ». Or, Mme de Rênal, qui n’est que blessée, lui rend visite, Mathilde aussi, son ami Fouqué, et le curé Chélan. Résigné, le condamné reconnaît aux Assises être « un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de la fortune ». Mme de Rênal lui promet de vivre : elle « tint sa promesse, mais trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants ».

L’ambiguïté du rebelle romantique, joué par Jules Sagot - à la fois réservé et tonique -, donne à la scène de l’ampleur. Hypocrite, calculateur, futur abbé mais incrédule, il est fougueux et talentueux, susceptible et ombrageux : « Julien, debout sur un grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août. […] L’œil de Julien suivait machinalement l’oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement. C’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ? » (Marc Cerisuelo, Le Rouge et le Noir, Encyclopedia Universalis.)

Accédant à « l’éducation sentimentale », Julien fait une critique politique féroce d’une société mue par l’argent, lucide sur un pays dont la perspective générationnelle semble empêchée. Le Rouge et le Noir  ne se résume pas au « miroir que l’on promène sur une grande route », selon l’auteur.

Sens du mouvement, insolence, fantaisie, la mise en scène de Catherine Marnas fait la part belle aux divers niveaux d’appréhension de l’oeuvre : narration, dialogues entre les personnages, monologues intérieurs et regard de l’auteur - distance, ironie, fameux « égotisme » stendhalien.

Simon Delgrange, Laureline Le Bris-Cep, Tonin Palazzotto, Jules Sagot, Bénédicte Simon, beaux interprètes singuliers et sincères sont les cinq doigts de cette main créatrice de théâtre, passant du jeu scénique à la narration, de l’observation de l’action à l’intériorisation des sentiments, formant choeur autour du héros, glissant d’un rôle à l’autre, narquois, amusés, attendris, dans l’attente des événements, laissant courir sur le plateau une fluidité, une célérité savoureuse pour le plaisir du public - la vie qui va, contemplée à travers des portraits en majesté s’avançant sur une passerelle vers la salle : grandeur et misère des âmes élégantes face à une bourgeoisie d’intérêts et de gain.

Chevaux en parade, joie effervescente des moments d’oubli et de fête, épanouissement corporel,
tout est théâtre sur une scène vivante qui a su re-donner vie et résonance à un trésor littéraire.

Le Rouge et le Noir, texte de Stendhal, adaptation et mise en scène Catherine Marnas, dramaturgie Procuste Oblomov, scénographie Carlos Calvo, création sonore Madame Miniature, lumière Michel Theuil, vidéo Ludovic Rivalan, costumes Catherine Marnas assistée de Kam Derbali. Avec Simon Delgrange, Laureline Le Bris-Cep, Tonin Palazzotto, Jules Sagot, Bénédicte Simon. Du 7 au 17 novembre 2023, tous les jours 20h, sauf jeudi 16 novembre 14h30 et 20h, relâche le samedi 11 novembre, séance le lundi 13 novembre, au TnBA Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine. Du 29 novembre au 1er décembre, à la Comédie de Béthune. Du 10 au 12 janvier 2024, Le Quai CDN Angers Pays de la Loire. Du 10 au 12 avril 2024 au CDN de Tours - Théâtre Olympia.
Crédit photo : Frédéric Desmesure

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Véronique Hotte

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