Opéra de Marseille jusqu’au 26 juin 2011
Le Cid de Jules Massenet
Le rayonnement salvateur de Roberto Alagna
- Publié par
- 23 juin 2011
- Critiques
- Opéra & Classique
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L’Opéra de Marseille aime les raretés, les œuvres oubliées qui n’en sont pas moins des chefs d’œuvre. Il y a un an tout juste, il ressuscitait, en poésie et panache, le Hamlet d’Ambroise Thomas, aujourd’hui à l’affiche de son coproducteur, l’Opéra National du Rhin.
Après Shakespeare, Corneille. Voici le Cid par Jules Massenet, monument lyrique qui exige des moyens considérables et un ténor hors pair. La maison marseillaise n’a pas ces moyens mais elle a le ténor : l’exceptionnel, charismatique Roberto Alagna, une idole à l’ancienne que le public amoureux ovationne debout. Il a tout endossé du héros cornélien, sa bravoure et ses grands sentiments, il le chante de sa voix lumineuse, il le dit de sa diction impeccable.
Honneur, héroïsme, patriotisme, dilemme amoureux
Honneur, héroïsme, patriotisme et dilemme amoureux : il a tout pour épater et pour séduire ce Cid Campéador qui a vraiment existé à l’aube du premier millénaire et qui a inspiré une foultitude de poètes, romanciers, dramaturges et compositeurs, sur tous les tons dans toutes les langues. En France c’est évidemment celui de Corneille qui a expulsé tous ses rivaux. Ses alexandrins sont tellement célèbres qu’ils sont entrés dans le langage commun. Un véritable dictionnaire de citations : ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie, Rodrigue as-tu du cœur, à moi, comte, deux mots, qu’on est digne d’envie quand avec la force on perd aussi la vie, va, je ne te hais point, aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années…
Des mots comme des notes
Trois compositeurs français s’y sont frottés : Bizet avec un Don Rodrigue né en 1873, Debussy avec Rodrigue et Chimène laissé inachevé (1890-1895), et, entre ces deux dates, en 1885, Le Cid de Massenet, fleuron de la musique française. Il confie l’écriture du livret à Louis Gallet et Edouard Bleu (qui avaient déjà signé celui de Bizet) auxquels s’ajoute un troisième larron Adolphe d’Ennery. Ils pillent le vieux Corneille, garde quelques fleurons, rajoutent Dieu et l’Eglise et des textes à eux. Massenet a-t-il eu peur du fameux récit « Sous moi donc cette troupe s’avance » ? Ses librettistes en tout cas le jette à la corbeille et fabrique une fin nouvelle, un happy end hollywoodien avant l’heure.
Les mots de Corneille sonnent comme des notes, ses alexandrins forment une musique à part entière. Massenet les habille de la sienne, parfois sobrement pour orner les célèbres tirades, mais use pour le reste de sonorités plus grandiloquentes que grandioses. C’est dense, touffu, difficile à assurer. L’orchestre de l’Opéra de Marseille n’est pas vraiment à la hauteur et le chef canadien Jacques Lacombe ne réussit pas à le hisser vers les nuances exigées. Massenet est asséné, quasiment martial. Le chœur est trop souvent approximatif. Peu aidé il est vrai par la mise en scène sommaire de Charles Roubaud. Une mise en place plutôt, dans les décors embourgeoisés - art déco pompier - d’Emmanuelle Favre, sans véritable direction d’acteurs.
La fusée Alagna
Celle-ci manque surtout aux interprètes, qui jouent et chantent comme ils le peuvent. Le Don Diègue de Francesco Ellero-d’Artegna a la noblesse fatiguée du rôle et la voix tout aussi éteinte. Jean-Marie Frémeau campe un Don Gomès vocalement crédible, dans les brèves interventions de l’Infante, la gracieuse québécoise Kimy Mc Laren fait entendre une voix fruitée qu’in aurait aimé attribuer à Chimène. Béatrice Uria-Monzon qui en a la charge en fait une hystérique poussant ses aigus comme des cris, et broyant le texte dans une pâtée désarticulée. Les défauts qu’elle avait à ses débuts sont revenus au galop. Parfois à la limite du supportable.
Heureusement l’atout majeur de la production apparaît comme une fusée. Cid valeureux, Roberto Alagna, le timbre généreux, la présence chaleureuse, rayonne comme un soleil salvateur
Le Cid de Jules Massenet, livret d’Adolphe Ennery, Louis Gallet, Edouard Blau d’après Corneille. Orchestre et chœur de l’Opéra de Marseille, direction Jacques Lacombe, chef du chœur Pierre Iodice, mise en scène Charles Roubaud, décors Emmanuelle Favre, costumes Katia Duflot, lumières Jacques Rouveyrollis. Avec Roberto Alagna, Béatrice Uria-Monzon, Kimy McLaren, Francesco Ellero-d’Artegna, Franco Pomponi, Jean-Marie Frémeau, Paul Rosner, Bernard Imbert, Frédéric Leroy.
Opéra de Marseille, les 7, 20 & 23 juin à 20h, le 26 à 14h30
04 91 55 11 10 – www.opera.marseille.fr
Crédits Photos : Christian Dresse