Théâtre de la Ville (Paris)

Le Belvédère

L’histoire d’un naufrage

Le Belvédère

Le Belvédère est un hôtel en déliquescence. Son propriétaire, Strasser, est un ancien acteur à succès qui a tout juste conservé quelques restes de ce que fut son pouvoir de séduction. Il lui faut d’ailleurs payer de sa personne pour retenir sa seule cliente, une baronne alcoolique et vieillissante. Sinon, il n’y a qu’une faune de types douteux pour fréquenter le lieu. Jusqu’à l’arrivée d’une jeune femme, Christine, qui lui annonce qu’il est le père de son enfant et qu’elle va s’installer là. Strasser et ses complices inventent alors les pires stratagèmes pour la décourager. Jusqu’à ce qu’elle leur donne une raison sonnante et trébuchante de regretter leur hostilité.
Le propos pourrait être traité sur un mode tragique. Ödön Von Horvàth l’aborde exactement à l’opposé, en comédie, presque en vaudeville. L’auteur, né en 1901, Hongrois d’origine, de langue et de culture allemande, a vécu la montée au pouvoir des nazis qui ont tellement peu apprécié son œuvre qu’elle fut rapidement interdite.

Le radeau de la Méduse avec une morale chrétienne

C’est en 1938 qu’il est mort accidentellement, à Paris, où il s’était réfugié, au lendemain de l’annexion de l’Autriche par le troisième Reich. Il figure ainsi en bonne place parmi ces intellectuels n’ayant pas accepté la folie et la violence qui s’imposaient alors, avec les méthodes que l’on sait.
Il y a une vingtaine d’années que Le Belvédère n’a pas été monté, en France. "L’histoire est celle d’un naufrage", souligne le metteur en scène Christophe Perton. "C’est un radeau de la Méduse avec une morale un peu chrétienne : celui qui a vécu par l’argent périra par l’argent, personne ne sera sauvé et la jeune Christine s’échappe et pose pied-à-terre au dernier instant, avant que l’Arche Belvédère soit engloutie."

Cavalcade fatale

En fait, la pièce a manifestement vieilli. Les personnages y sont quelque peu caricaturaux et les rebondissements donnent parfois l’impression de tourner en rond. Son principal intérêt tient probablement à la manière dont elle multiplie, avec une ironie cinglante, les allusions à des situations et à des figures de l’époque, ce qui, aujourd’hui, nous échappe le plus souvent. Du coup, le travail de Perton et de son équipe semble un peu vain. Il n’est pourtant pas sans mérite.
Ce qui frappe d’abord, c’est la scénographie de Marc Lainé. Un décor imposant et astucieux, qui montre à la fois ce que fut la puissance du lieu et à quel point il est dégradé. Mais surtout, dès les premières répliques, on perçoit ce que fut l’exigence de Perton à l’égard de ses acteurs et l’intensité avec laquelle ils se livrent dans ce qui a des allures de cavalcade fatale, à laquelle se livreraient des pur-sang enfermés dans un enclos où tout s’écroule mais dont ils ne peuvent s’échapper.
Au fond, c’est bien cela que l’on retient de la pièce : le sentiment d’enfermement. Les personnages qui n’ont plus rien de digne, ni d’honorable, sont soudain saisis d’une pulsion désespérée et tentent de s’échapper de cet hôtel décadent où ils ont cru pouvoir se réfugier. En vain. Il n’y a plus de salut. Le rire d’Ödön Von Horvàth et la vision de Perton sont amers, leur lucidité est cruelle. De ce point de vue, ils visent juste.

Le Belvédère, d’Ödön Von Horvàth, mise en scène Christophe Perton, avec Olivier Werner, Dominique Parent, Vincent Garanger, Nicolas Bouchaud, Roland Depauw, Marief Guittier et Raïssa Mariotti. Théâtre de la Ville de Paris, jusqu’au 28 janvier. Tél : 01 42 74 22 77. Le spectacle est présenté ensuite à la Maison de la Culture d’Amiens, du 1er au 3 février, et à la Maison de la Culture de Nantes, du 9 au 11 février.

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Stéphane Bugat

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