La vie est une géniale improvisation d’après la correspondance de Vladimir Jankélévitch
Réjouissante virée en philosophie
Non, nul n’est besoin d’avoir son agrégation de philo, ni même d’avoir lu Vladimir Jankélévitch pour savourer un spectacle qui est tout à la fois une fête de l’esprit et un hymne à la vie.
Hier, conteur donnant vie à tous les personnages du roman de Romain Gary La Promesse de l’aube , Bruno Abraham-Kremer se fait aujourd’hui subtil passeur de la pensée. Il le fait, avec la complicité de Corinne Juresco et en s’emparant, avec une délectation contagieuse, de la correspondance du philosophe musicologue Vladimir Jankélévith, qui se disait « peu fait pour la philosophie de salon », avec son ami Louis Beauduc rencontré à Normal Sup.
Pendant cinquante-sept ans, de 1923 à 1980, année de la mort de Louis Beauduc, ces deux-là ne cesseront de s’écrire. A travers cet échange épistolaire, c’est toute une vie qui se déploie. Celle d’un philosophe à la pensée vive qui adjurait son ami de se méfier des pantoufles, ajoutant, « gardons nos lampes allumées, l’amour ne vient pas à ceux qui dorment », celle d’un homme confronté aux vicissitudes de l’Histoire. En 1940, entré en résistance - « l’esprit fasciste est dangereux pour la pensée » écrivait-il avant la guerre - révoqué de l’enseignement de Vichy, réfugié à Toulouse, il écrit à son correspondant qu’il ne peut pas aller le voir à Limoges où ce dernier enseigne. Pour moi, précise-t-il, « l’heure n’est pas aux voyages, demi-juif par ma mère et métèque par mon père, ça fait trop d’impureté pour un seul homme ».
Janké, comme l’appelaient ses élèves, ne manquait pas d’humour et pratiquait en grand pudique l’art de l’autodérision, les deux imprègnent une correspondance mixée de vie quotidienne et de considérations philosophiques sur la musique, l’arpège des oiseaux, l’amour, la vie, la mort. A travers elle, on traverse le siècle, avec ses lumières et ses ombres, en compagnie d’un homme qui n’eut de cesse de mettre en accord sa pensée et ses actes et qui répondait aux revirements du destin par cette formule, bonne à entendre par nos temps de crise, « Hélas, donc en avant ! ».
Aux propos de Jankélévitch, pour qui « on peut, après tout, vivre sans le je-ne-sais -quoi, comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien », on ajoutera que, certes, on peut sans doute vivre sans aller voir La Vie est une géniale improvisation , mais pas si bien ! Et pourquoi se priver d’un si rare plaisir de théâtre ?
Créé initialement au Théâtre des Mathurins le spectacle est actuellement repris au Théâtre du Lucernaire du 11 octobre au 11 décembre
La Vie est une géniale improvisation, d’après la correspondance de Vladimir Jankékévitch , mise en scène Corine Juresco avec Bruno Abraham-Kremer. ( 1h20)
Théâtre du Lucernaire 19h jusqu’au 11 décembre tel 01 45 44 57 34
Photo Pascal Gély