Strasbourg – Opéra National du Rhin jusqu’au 30 mai Mulhouse - La Filature les 7 et 9 juin
LES PECHEURS DE PERLES de Georges Bizet
Des perles en deuil de poésie
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- 27 mai 2013
- Critiques
- Opéra & Classique
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C’était une jolie idée de programmer cet opéra de jeunesse composé par un Bizet de 24 ans dont quelques airs sont devenus des tubes fredonnés jusque dans les salles de bain – Je crois entendre encore caché sous les palmers – Oui, c’est elle, c’est la déesse -, une belle initiative aussi d’en confier la mise en scène à Vincent Boussard, un familier de l’ Opéra national du Rhin qui y signa quelques jolies réussites (Frûhlings Erwachen, Louise, Hamlet (coproduit par l’Opéra de Marseille) – (voir WT des 22 septembre 2008 1644, 20 octobre 2009 2056, 9 juin 2010 2353).
L’inspiration, hélas, dérapa cette fois dans l’éternel questionnement des metteurs en scène, leur folle course à l’originalité : comment faire autrement ? La réponse donnée ne fut pas la bonne. Une grosse déception franchit la ligne d’arrivée.
Depuis un bon nombre d’années, après les premiers dépoussiérages du répertoire lyrique, les « relectures » initiées par le talent d’hommes de théâtre comme Giorgio Strehler et Patrice Chéreau, ont fini par tourner à l’obsession. A force de vouloir sous n’importe quel prétexte innover, trouver l’angle, le truc qui remet en question tout ce qui a été fait jusque-là, certains se sont enfermés dans une impasse. Ils n’abordent plus les œuvres de face. Il les contourne, leur font dire ce qu’ils en imaginent et non pas ce qu’elles veulent dire ou simplement représenter.
Pour ces Pêcheurs de perles, comment monter la fable d’un orient imaginaire, réinventer l’exotisme d’un Ceylan de nulle part échappé des rêves de Bizet sans rapport aucun avec une réalité géographique ? Il y a un an à l’Opéra Comique de Paris, le metteur en scène japonais Yoshi Oida lui conférait une imagerie faussement minimaliste qui ne lui allait ni au teint ni à la musique (voir WT 3346 du 21 juin 2012). L’histoire toutefois était respectée.
Zurga en clone torturé de Bizet
Vincent Boussard la renverse, lui colle un monde factice et lui fait perdre pied au sens propre comme au figuré. Adieu l’île des amours et des perles… Il décide que Zurga, le héros, n’est en fait que le double de Bizet, son clone torturé, agité qui tente de transmettre ses angoisses et ses attentes à son piano. Même si Bizet a mis une part autobiographique dans son œuvre – quel auteur, quel compositeur ne le fait pas ? – le parti pris ne tient pas la route. D’autant qu’en lieu et place des paysages et des plages, Boussard fait appel à la formule – usée - du théâtre dans le théâtre. En fond de scène un rideau gris masque en transparence les espaces, galeries, loges d’un théâtre à l’italienne vu de face. L’effet est d’une rare tristesse. Le piano occupe le centre de la scène : pauvre piano soumis à d’invraisemblables tortures, on lui saute dessus, on le retourne, on le fait barboter dans une mare d’eau stagnante…
On a fait appel pour les costumes au couturier Christian Lacroix. Les deux robes de Leila sont jolies sans style particulier Zurga et Nadir sont habillés de costumes comme à la ville. Seul Nourabad, le maharadjah porte une tenue orientalisante. Les personnages des chœurs, habillés de noirs comme s’ils étaient en deuil, placés dans les galeries à contre jour, portent rubans, turbans, voiles, drapés savants et paillettes dont on ne distingue les détails qu’au moment des saluts. Des vidéos de ciels et mers en rage s’impriment sur le fond de scène. Au sol des pétales de fleurs flottent sur la mare d’eau où les héros pataugent et se contorsionnent.
Annick Massis, une Leila qu’on n’oubliera pas
Malgré une direction d’acteur statique, malgré Sébastien Guèze en Nadir amoureux qui ne maîtrise guère son timbre de ténor, ni sa projection qui s’amenuise parfois jusqu’à déraper, le naufrage est évité grâce à l’implication et même la foi des autres interprètes. Emission claire et bien tranchée et belle diction, le baryton canadien Etienne Dupuis heureusement impose son Zurga et, isolé dans une loge, la basse Jean Teitgen rend crédible Nourabad. Mais c’est incontestablement Annick Massis, superbe soprano colorature et fine comédienne qui donne à ce spectacle son prix. Pureté d’émission, vocalises aériennes et aérées, suraigus filant sur les cimes, richesse de couleurs, elle réunit tous les atouts pour une Leila qu’on n’oubliera pas même si le reste va vite sortir des mémoires.
Patrick Davin, fin serviteur de la musique française, fait tout pour maintenir en éveil et en nuances l’Orchestre symphonique de Mulhouse. Et y réussit.
Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet, livret de Michel Carré et Eugène Cormon. Orchestre symphonique de Mulhouse, direction Patrick Davin, chœurs de l’Opéra National du Rhin, direction Michel Capperon, mise en scène Vincent Boussard, décors Vincent Lemaire, costumes Christian Lacroix, lumières Guido Levi. Avec Annick Massis, Sébastien Guèze, Etienne Dupuis, Jean Teitgen .
Strasbourg – Opéra National du Rhin, les 17, 21, 23, 28 & 30 mai à 20h, le 26 à 15h
+33(0)825 84 14 84
Mulhouse – La Filature – le 7 juin à 20h, le 9 à 15h.
+33(0)389 26 28 28
Photos Alain Kaiser