Strasbourg - Opéra national du Rhin, jusqu’au 31 octobre 2009 - Mulhouse - La Filature les 8 & 10 novembre 2009

Louise de Gustave Charpentier

Du réalisme à l’abstraction, la troublante mise en épure de Vincent Boussard

Louise de Gustave Charpentier

A Strasbourg, l’Opéra National du Rhin sous la nouvelle direction de Marc Clémeur a placé sa saison sous le signe du « choc des générations ». Louise, le « roman musical » de Gustave Charpentier (1860-1956) qui raconte l’antagonisme qui oppose une jeune montmartroise amoureuse d’un poète à ses parents qui la désapprouvent violemment, entre de plein pied dans la définition.

Curieuse destinée que celle de cet opéra créé le 2 février 1900 à l’Opéra Comique où il triompha jusqu’à la mi-temps du XXème siècle - en 1956 à la mort de son compositeur on célébra sa millième représentation, un record ! - avant de sombrer dans un oubli cotonneux. Il aura fallu atteindre l’aube du siècle suivant, le nôtre, pour le sortir de sa somnolence, d’abord à Toulouse sous la direction de Michel Plasson dans une mise en scène de Nicolas Joël qui fit escale au Châtelet, puis à l’Opéra de Paris-Bastille où Gérard Mortier en confia la réalisation à André Engel. Deux productions marquées par le souci du réalisme, la première reconstituant l’atmosphère du village presque rural qu’était à l’époque la butte Montmartre, la seconde illustrant en quasi cinémascope un Paris des années trente, avec sa station de métro comme si on y était et ses toits de tôle grise, décors d’une précision quasi chirurgicale de Nicky Rieti (voir webthea du 4 avril 2007)

Du vérisme à l’abstraction, un grand écart

Du vérisme à l’abstraction, une relecture qui ressemble à un grand écart. A Strasbourg, Vincent Broussard tourne délibérément le dos au réalisme qui est la marque de fabrique de cette œuvre, la première en France à propulser sur une scène lyrique les petites gens de la classe ouvrière, leurs soucis et leurs préjugés au quotidien. Paris, reine souveraine des plaisirs, de l’amour et de la liberté, qui tient en filigrane le premier rôle, passe ainsi au second plan. On en parle, on la chante, mais plus rien ne l’évoque visuellement hormis quelques lumières clignotantes la nuit par dessus les toits. Les décors de Vincent Lemaire suggèrent des espaces neutres où les actions n’ont plus de véritable identité de temps ou de lieu. Une mise en épure quelque sorte. La maison familiale de Louise est réduite à une boite grise aux perspectives qui s’enchevêtrent, une pièce étroite meublée d’une table et de deux chaises de supermarché.

Dans la rue de l’acte II, des « techniciennes de surface » font le ménage, armées de longues pinces qui agrippent des bouts de celluloïd qu’elles jettent dans une grande poubelle de fer blanc. La foule des marchands d’habits, balayeurs, chansonniers, prostituées court sur fond d’ombres géantes. Les cousettes de l’atelier de Louise travaillent debout sur des vêtements accrochés à leurs cintres. C’était hier à peine ou peut-être demain, le temps du plastique et du formica…

Une permanence de plans inclinés en pente rapide

Repue de plaisir et de volupté Louise chante son grand air « depuis le jour où je me suis donnée, je suis heureuse » couchée sur un toit en pente rapide où Julien son amant peine à trouver son équilibre. Malgré la beauté de certains tableaux et la finesse des éclairages, on finit par se demander le but de cette permanence de plans inclinés en pente rapide, parfois à 45° qui domine la scénographie où, sauf au deuxième acte, les personnages perdent pieds, glissent comme sur un toboggan.

Nataliya Kovalova loin du chromo de la parigote

La direction d’acteurs en revanche est ferme et met en images et mouvements les jeux du désir. La mère castratrice en femme frustrée jusqu’à la haine est incarnée par Marie-Ange Todorovitch, belle allure, jeu sec, voix solide -, le père brouillon et pathétique a le poids de Philippe Rouillon, investi jusqu’à l’excès mais auquel il manque cette dose d’humanité qui faisait le prix de l’interprétation d’un José Van Dam. Le couple enfin, Julien à cloche pieds sur ces sols qui se dérobent a la sincérité de jeu du ténor roumain Calin Bratescu au timbre clair s’échappant parfois jusqu’au cri, et, dans le rôle titre la jeune et ravissante ukrainienne Nataliya Kovalova, loin du chromo de la parigote, est émouvante, capable de passer dans un même souffle de l’exclamation pointue aux soupirs de la confidence. Tous deux tentent avec vaillance de servir la diction française.

Les rôles secondaires et le chœur de l’Opéra National du Rhin sont de belle tenue et Patrick Fournillier, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, lui donne du punch et du rythme, un allant dansant qui sacrifie parfois les vents aux couleurs intimistes de cette musique romantique qui allie les fulgurances aux tendresses.

Louise roman musical de Gustave Charpentier, livret du compositeur. Orchestre Philharmonique de Strasbourg, direction Patrick Fournillier, chœur et maîtrise de l’Opéra national du Rhin, direction Michel Capperon et Philippe Utard, mise en scène Vincent Boussard, décors Vincent Lemaire, costumes Chantal de la Coste-Messelière. Avec Nataliya Kovalova, Calin Bratescu, Marie Ange Todorovitch, Philippe Rouillon, Khatouna Gadelia, Anneke Luyten, Anaïs Mahikian, Enrico Casari….

Strasbourg, Opéra National du Rhin, le 18 octobre à 15h, les 20, 22, 24, 31 octobre à 20h

+33(0)825 84 14 84 – caisse@onr.fr

Mulhouse, La Filature, le 8 novembre à 15h, le 10 à 20h.

+33(0)89 36 28 29

photos Alain Kaiser

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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