L’Amant de Harold Pinter par Ludovic Lagarde à L’Atelier.

Le jeu serré d’un couple en mal d’émancipation profilée....

L'Amant de Harold Pinter par Ludovic Lagarde à L'Atelier.

L’Amant a été présenté pour la première fois en France au Théâtre Hébertot, à Paris le 27 septembre 1965, dans une mise en scène de Claude Régy, et un décor de François de Lamothe, avec la distribution suivante : Jean Rochefort pour Richard, Delphine Seyrig pour Sarah et Bernard Fresson pour John. Eric Kahane avait à l’époque traduit La CollectionL’Amant et Le Gardien.

Pour Eric Kahane, « le propos de l’oeuvre de Pinter n’est ni social, ni politique, ni philosophique : il est de montrer l’homme seul, face à face avec la société. Il traite du problème de la solitude, de la peur des autres, que l’on cache sous un masque ironique ou agressif.

Dans le théâtre de Pinter, une histoire ébauchée n’est jamais menée à son terme, ou bien le spectateur y pénètre à mi-chemin et ne pourra jamais la comprendre. » Tensions, silences, mots dits ou tus, énigmes.

La menace vient du déracinement des personnages – des inconnus – dont la présence sur scène est souvent mystérieuse, dénuée de toute explication rationnelle. Jeux de tension, de pouvoir et de menace. L’attente d’on ne sait quoi, des paroles lourdes d’implicite, de l’insistance sur les détails concrets et matériels, les dialogues sont significatifs. Résonances existentielles et métaphysiques.

L’Amant est une sorte de puits sans fond : il met en scène Sarah et Richard, un couple classique et heureux. Ils vivent dans une banlieue résidentielle à la campagne, le mari part le matin pour se rendre au travail, à la City, et revient le soir retrouver sa femme restée au foyer. D’emblée, le spectateur apprend que certains après-midi Sarah reçoit Max son amant et que Richard le sait et s’en accommode. Qui est cet amant officiel si peu dérangeant et à quoi jouent Sarah et Richard ?
 
Dans la mise en scène de Ludovic Lagarde, les comédiens admirables Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux s’engagent dans une partition tirée au cordeau, jouant leur rôle au fil du rasoir : rien n’est plus appréciable pour le public, tendu à l’extrême dans une attente et un suspens plutôt improbables. Lui, en costume cravate venant de la City et elle, dans l’élégance, repliée chez elle.

Certes, les femmes restent de moins en moins enfermées dans leur « sweet home » et vaquent à leurs activités, personnelles ou/et professionnelles, libres, libérées et émancipées, oserait-on dire.
Le deal ou marché entre les deux est des plus étranges, d’autant qu’un laitier – une apparition inattendue et brève – s’immisce pour sa livraison dans le salon-même de la dame, l’après-midi.

Et le spectateur intrigué assiste ensuite à l’intrusion de l’amant chez sa belle, un intrus qui n’est autre que le mari déguisé en filou. Soit l’égrènement des rêves et des fantasmes de l’un et l’autre qui peuvent se démultiplier à l’infini. Le mari fait enrager sa femme en évoquant son amant de l’après-midi et l’amant va jusqu’à se faire du souci pour l’époux travaillant dans son bureau à ses dossiers.

Laurent Poitrenaux en technocrate accompli est on ne peut plus crédible – sûr de lui, en imposant à sa dulcinée attentive, un rien arrogant et suffisant, tout en ménageant, en grand seigneur, un espace de salut et de respiration à celle-ci. Quel plaisir pour lui de se changer en amant voyou.

Valérie Dashwood reçoit les balles avec tact et finesse, tout aussi conquérante et victorieuse que son époux/amant. Et, comme le révèle intuitivement Pinter, la partie, comme toujours, n’est guère équitable ni favorable pour la femme, qui change d’atours, d’une robe enfilée à l’autre, empressée, souriante ou pas, gracieuse, tenue de chausser une paire d’escarpins remplacés par des talons-aiguilles. Assise ou debout, posée, elle est en alerte, en éveil, dans l’expectative – espoir ou crainte -, restant l’objet d’un amusement dont elle n’est pas la manipulatrice, elle préfère alors l’esquive.

Un duo d’amoureux convaincant et sensible dans ses rudesses – la délicatesse d’un jeu à deux.

L’Amant/ Cycle Harold Pinter au Théâtre de L’Atelier, texte de Harold Pinter, traduction Olivier Cadiot (L’Arche Editeur), mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux. Lumière Sébastien Michaud, scénographie Antoine Vasseur, costumes Marie La Rocca, maquillages, perruques et masques Cécile Kretschmar, réalisation sonore David Bichindaritz, conception vidéo Jérôme Tuncer. Du 3 au 25 juin à 19h, dimanche 15h, au Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin 75018 Paris. Tél : 01 46 06 49 24 Theatre-Atelier.com
Crédit photo : Pascal Gély.

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Véronique Hotte

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