James Brown mettait des bigoudis de Yasmina Reza à La Colline.

Vivre sa différence au plus proche de soi, loin des atermoiements des autres.

James Brown mettait des bigoudis de Yasmina Reza à La Colline.

Avec distance et ironie - mélancolie et humour - qui caractérisent l’oeuvre de la femme de lettres et dramaturge Yasmina Reza, celle-ci commente sa « fantaisie » d’aujourd’hui - l’imagination créatrice, cette faculté d’inventer sans contrainte une pièce musicale ou théâtrale de forme libre : « Il y a des personnages qui, laissés dans les pages des romans, ne demandent qu’à revivre ».

Surgit sur le plateau la scénographie à la fois économe et somptueuse d’Eric Soyer - longs et vastes couloirs anonymes, immense bureau vide de rendez-vous avec la praticienne, où errent des parents venus rendre visite à leur fils dans un établissement de soins psychiatriques. La vidéo de Renaud Rubiano donne à voir sur le lointain l’immensité verdoyante d’un parc boisé où sur une balançoire - image morcelée - jouent deux pieds aux chaussures stylées qui vont et viennent.

Le sujet en question ne manque pas de piquant -plaisir de spectateur face à cet inénarrable James Brown mettait des bigoudis - : Jacob alias Céline Dion - vrai Micha Lescot et sa nonchalance -, est garant d’une allure improbable, cheveux au vent, lunettes solaires et hula hoop à la taille dansante.

Ses parents qu’il appelle par leur prénom sont - antithèse significative - à l’opposé libertaire de leur rejeton qu’ils aiment en dépit de tout, quoique bousculés, malmenés et terriblement déstabilisés.
Qu’est « devenu » Jacob depuis ses cinq ans où il reçut en cadeau les chansons de Céline Dion ?

On n’a pas vu venir la chose. On n’a pas senti que ça pouvait basculer. Non. Ni Lionel, ni moi. Nous sommes seuls et désemparés. A qui en parler ? Il faudrait qu’on arrive à en parler, mais à qui confier un secret pareil ? Il faudrait pouvoir le dire à des gens de confiance…Nous ne supportons pas la moindre nuance d’humour sur le sujet, bien que nous ayons conscients, Lionel et moi, que s’il ne s’agissait pas de notre fils, nous pourrions en rire…(Heureux les Heureux, Yasmina Reza, 2013), ainsi dit Pascaline dans ce roman, l’épouse de Lionel et mère de Jacob - alias Céline Dion.

« Dans James Brown mettait des bigoudis, le fils est maintenant dans une maison de repos. Un établissement, on ne sait pas où, mais au milieu d’une nature ordonnée et impavide. Il s’y est fait un ami, Philippe. De même que Jacob se vit en Céline Dion ou voudrait être la chanteuse, Philippe est un homme blanc qui s’identifie comme noir ou voudrait être noir… La psychiatre à qui les parents Hutner ont confié leur fils ne ramène pas les patients à leur définition originelle. Elle s’emploie à les harmoniser, les rendre aptes à assumer leur émancipation ». 

Les chaussures élégantes masculines étaient celles de Philippe, l’ami extravagant, vif et tonique de Jacob, qui se dit noir, bien qu’il soit blanc, interprété avec brio par l’ingénieux Alexandre Steiger : Car les plus belles chaussures de la ville C’est lui qui les a, chante Céline émue.

Enigmatique est le spectacle sur la réalité de l’identité et du genre - trans-identités et trans-genres. Entre facétie et humour d’un côté pour l’observateur amusé, et souffrances infinies de l’autre côté, pour les personnages mis à mal de parents désemparés face au choix de leur enfant - un être autonome qui ne leur appartient pas mais décide intimement de ses propres choix existentiels.

L’Isolement du couple résonne dans le vide : personne ne peut le soutenir, pas même la psychiatre excentrique qu’incarne à plaisir l’espiègle et longiligne Christèle Tual - réplique de Micha Lescot, hyper-féminine et un rien énergique dans sa malice à retomber sur ses pieds et sur sa trottinette.

Pascaline -Josiane Stoléru - authentique mater dolorosa -, est dépendante de son mari Lionel - brillant et méditatif André Marron -, le nommant Amour, tandis que celui-ci, s’essaie à comprendre ce qu’il appréhende mal ou avec grande réticence dans un chagrin infini où il s’abîme.

N’en reste pas moins que le spectacle dégage, et sous le jeu instrumental de Joachim Latarjet, la légèreté vive du bonheur d’être là, dispensée par les autres figures de désir, de vie et d’inspiration.

James Brown mettait des bigoudis, texte et mise en scène Yasmina Reza.
 Avec Micha Lescot, André Marcon, Alexandre Steiger, Josiane Stoléru, Christèle Tual et Joachim Latarjet, musique Joachim Latarjet avec Tom Menigault, scénographie et lumières Éric Soyer avec Marie Hervé, création vidéo Renaud Rubiano, costumes Marie La Rocca, maquillages et coiffures Cécile Kretschmar. Du 19 septembre au 15 octobre 2023, du mercredi au samedi 20h30, mardi 19h30, dimanche 15h30, sauf les dimanches 1er et 8 octobre à 16h30, relâche le 24 septembre, au Théâtre de la Colline 15, rue Malte-brun 75020 Paris. Tél : 01 44 62 52 52. Du 27 mars au 5 mai 2024 au Théâtre Marigny, www.theatremarigny.fr

Crédit photo : Ann Ray

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Véronique Hotte

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