Grisélidis, tout est bien qui finit bien

Au Théâtre des Champs-Élysées, une distribution choisie révèle une partition de Massenet qui juxtapose les genres sans les mêler.

Grisélidis, tout est bien qui finit bien

MASSENET FUT UN MUSICIEN PROLIXE dont les œuvres, pour la plupart, connurent le succès à Paris mais aussi dans d’autres capitales lyriques. Grisélidis, ainsi, après sa création à l’Opéra-Comique en 1901 (un an avant Pelléas et Mélisande dans le même lieu), fut reprise à La Monnaie de Bruxelles dès l’année suivante, à Zurich en 1903, à la Scala en 1904, à New York en 1910 ; l’Opéra de Paris mettra la partition à l’affiche en 1922. Prodigieux succès qui aujourd’hui laisse songeur : car Grisélidis, munie de quelques scènes parlées qui n’en font pas pour autant un opéra-comique (l’ouvrage est annoncé comme un « conte lyrique »), reste à mi-chemin entre deux registres, sans aller au bout de ses enjeux. L’intrigue peut évoquer la légende de sainte Geneviève, telle qu’elle fut illustrée par Schumann un demi-siècle plus tôt dans son opéra Genoveva : l’histoire d’une femme pieuse, dont le mari (un Marquis) part pour les croisades, et qui est suspectée d’adultère. Massenet et ses deux librettistes, Armand Silvestre et Eugène Morand, lui superposent les facéties d’un diable bonhomme qui s’amuse à jeter le trouble dans les couples et, lui-même marié (une première pour un diable !), se plaint des querelles que lui cherche sa femme.

On aurait pu avoir là un mélange des genres délicieux, mais Silvestre et Morand reprennent l’intrigue de leur pièce Grisélidis et, à la faveur d’un livret dont l’emphase le dispute à un comique un peu convenu, ne permettent pas au compositeur de brouiller les registres et de jouer avec l’ambiguïté. Le résultat, ainsi, est assez bancal : malgré quelques beaux moments, Massenet se contente de juxtaposer les tableaux édifiants, chantés à pleine voix avec force prières, et les scènes confiées au Diable, dont on ne sait pas trop d’où il vient (d’un triptyque d’où il échappe à sainte Agnès ?), et qui se comporte comme un mauvais clown. À la fin, l’épée du Marquis revenu des croisades devient croix, laquelle flamboie devant le triptyque, et sainte Agnès permet à Grisélidis et à son mari de triompher du Malin. Lequel, fatigué par tant d’épreuves, annonce qu’il va se faire ermite : c’est lui qui aura le dernier mot.

Griselida dolorosa

Il y a les bons (le Marquis et Grisélidis) et les méchants (le Diable, qui voudrait bien se séparer de son envahissante Fiamina), mais il y a aussi le berger Alain, qui dans le Prologue se réjouit d’une manière fort démonstrative de retrouver Grisélidis, laquelle, ayant rencontré le Marquis sur son chemin, doit abandonner le malheureux berger. Désespoir d’Alain qui, au deuxième acte, retrouve Grisélidis rendue à son statut de femme humble (et humiliée par le Diable), mais ne peut la convaincre de tout laisser pour le suivre. Nouveau désespoir d’Alain, qui clame une seconde fois sa détresse.

À la fois trop développé (certains duos n’en finissent pas) mais trop mince dans ses enjeux dramatiques, Grisélidis nous est offert dans le cadre du dixième Festival du Palazzetto Bru Zane, qui annonce un enregistrement. C’est dire que les interprètes sont choisis avec soin. Vannina Santoni est une Grisélidis lyrique, dolorosa, toujours prête à l’extase, très convaincante dans son air du II qui peut rappeler Chausson (celui du « Temps des lilas ») mais dégénère en prière ; elle se trouve en face d’un Thomas Dolié sonore et véhément dans le rôle du Marquis, et d’un Tassis Christoyannis qui s’amuse à jouer avec les conventions méphistophéliques, alternant rires et insinuations pour instiller un peu d’esprit dans une partition qui s’en tient au premier degré : l’ironie n’a jamais été le fort de Massenet.

Le diable et son épouse

Julien Dran est un Alain uniformément heureux puis malheureux, mais Massenet ne lui a pas facilité la tâche en lui imposant un rôle qui interdit les nuances. Adèle Charvet donne de la couleur au propos en incarnant une Bertrade chatoyante, parfaite dans le mélodrame qui clôt le premier acte sur des accents inattendus (c’est bien le seul moment troublant de la soirée), cependant que l’excellente Antoinette Dennefeld (Fiamina) n’est ici guère qu’un brillant faire-valoir du Diable, et que Thibault de Damas et Adrien Fournaison jouent fort bien les membres de la suite du Marquis. Le Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie, presque toujours en coulisses, apporte ici et là un peu de relief, et l’Orchestre national Montpellier Occitanie, que dirige avec générosité Jean-Marie Zeitouni, joue davantage la carte de la pâte sonore que du mordant.

Grisélidis reste au milieu du chemin, entre grandiloquence et bouffonnerie appliquée. Son cor anglais, son célesta, ses effets de cordes col legno ne peuvent rien contre un esprit de sérieux et une manière gourmée qui étouffent ce qu’il y aurait pu y avoir d’équivoque dans cette rencontre de la chevalerie et d’un diable domestique. Mais nous avons entendu une partition rare, ce qui vaut bien une énième Manon.

Illustration : Grisélidis et son fils songent à l’absent (dr)

Massenet : Grisélidis. Avec Vannina Santoni (Grisélidis), Julien Dran (Alain), Thomas Dolié (le Marquis), Tassis Christoyannis (le Diable), Antoinette Dennefeld (Fiamina), Adèle Charvet (Bertrade), Thibault de Damas (le Prieur), Adrien Fournaison (Gondebaut) ; Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie, Orchestre national Montpellier Occitanie, dir. Jean-Marie Zeitouni. Théâtre des Champs-Élysées, 4 juillet 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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