Ecrire sa vie d’après Virginia Woolf

Un pari audacieux

Ecrire sa vie d'après Virginia Woolf

Pauline Bayle qui a réussi de magistrales adaptations de textes littéraires (Iliade, Odyssée, Chanson douce, Illusions perdues) a entrepris de porter à la scène la poésie de Virginia Woolf essentiellement à partir des Vagues, texte auquel elle a adjoint des fragments d’autres œuvres.

Dans le cadre sublime du cloître des Carmes, cela commence gaiement. Les comédiens viennent bavarder avec les spectateurs, certains installés sur la scène, distribuent des citronnades. Ce préambule convivial destiné à mettre le public dans l’ambiance pourrait égarer le spectateur sur une fausse piste. C’est que mesurant l’audace et la difficulté de son projet, Pauline Bayle a voulu l’ancrer dans un cadre réaliste, donner corps aux mots, une sorte d’introduction à l’univers de l’auteur, à ses thèmes de prédilection : l’enfance, la solitude, l’incertitude, le rapport au langage, à la mort.

Six amis se sont réunis pour fêter le retour de Jacob parti à la guerre. Au cours des préparatifs joyeux du banquet festif, ils reviennent à leur enfance, les jeux, les souvenirs ; on chante les Beatles (Hey jude, don’t be afraid…). On attend Jacob mais il ne viendra pas. Jacob est mort à la guerre. La sirène d’alerte retentit, les gros ballons rouges claquent. La guerre est là.
Les amis sont brutalement jetés hors de l’enfance pour entrer dans l’âge adulte sans ménagement. Deux belles séquences chorégraphiques rythment le spectacle, resserrant les liens d’amitié, même si l’on ne se comprend pas toujours, amitié de haute nécessité pour affronter les désastres, intimes et collectifs.

Le spectacle nous parle à demi-mot du temps qui passe, du paradis perdu de l’enfance, et surtout il révèle les figures à venir qui viendront habiter la fiction. Au fil de la représentation, les contours des personnages s’estompent pour laisser place à la parole poétique qui peu à peu occupe tout l’espace. Chez Woolf les personnages n’existent pas vraiment, ils constituent un ensemble ou le même démultiplié ; leurs différentes voix ne font qu’une. Les comédiens tiennent fermement le balancier dans cet exercice de funambules entre réalisme et poésie mélancolique. « Je suis le champ, je suis la grange, je suis les arbres ; à moi les vols d’oiseaux, et ce jeune lièvre qui bondit […] je ne suis pas une femme, mais la lumière qui tombe sur cette barrière, sur ce sol. Je suis les saisons, je le crois parfois, janvier, mai, novembre ; la boue, la brume, l’aurore. »

Le sentiment tragique de la vie court en filigrane, affleurant par endroits, laissant planer comme une menace. Traumatisée par le Grande Guerre, Virginia Woolf, dépressive, ne survivra pas à la Seconde Guerre mondiale ; désormais convaincue que le monde n’est que chaos, elle se suicide en 1941. Ecrire sa vie célèbre une haute figure de la vie littéraire qui a bouleversé les codes du roman et défendu le droit des femmes à l’indépendance et au statut d’artiste (Une chambre à soi).

Écrire sa vie d’après Virginia Woolf. Adaptation et mise en scène Pauline Bayle. Scénographie Pauline Bayle, Fanny Laplane. Lumière, Claire Gondrexon. Costumes, Pétronille Salomé. Musique, Julien Lemonnier. Festival d’Avignon, Cloître des Carmes jusqu’au 16 juillet 2023, à 22h. Durée : 2h.
© Christophe Raynaud de Lage

Tournée
Du 26 septembre au 21 octobre 2023, Théâtre Public de Montreuil, CDN
8 et 9 décembre 2023, Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon
14 et 15 décembre 2023, TCC, Théâtre Châtillon Clamart
Du 13 au 16 février 2024, Théâtre Dijon Bourgogne, CDN
Du 5 au 8 mars 2024, Théâtre de la Croix-Rousse-Lyon

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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