Deux Amis de Pascal Rambert

Stanislas Nordey et Charles Berling se mettent à nu dans cette pièce sur un couple d’acteurs à la scène comme à la ville.

Deux Amis de Pascal Rambert

La scène du Théâtre du Rond-point est vide avec juste un tapis de sol qui pourrait délimiter un ring sans cordes. A l’arrière-plan, tout un capharnaüm d’objets et accessoires les plus divers posés pêle-mêle sur des praticables. De chaque côté, un acteur de la trempe des plus grands : Charles Berling et Stanislas Nordey, dit Stan. Dès leur entrée en scène, ils sont pris dans un dialogue qui ne s’interrompra pas pendant toute la durée de la pièce (1h20). Ils passent de l’agressivité à la tendresse, de la complicité à l’animosité, de l’invective à la cajolerie ... C’est spécifiquement pour ces deux acteurs-là, chacun avec sa petite musique singulière, que Pascal Rambert, à son habitude, a composé son ode à l’amour du théâtre, indissociable pour lui de l’amour tout court.

De quoi parlent les deux acteurs ? De théâtre pardi, de leur projet commun d’acteur dans lequel on sent que tout leur vie personnelle et commune est impliquée. Mais plus que confrères, ils forment un couple vivant, travaillant, vieillissant, souffrant ensemble. Leur projet ? Monter ainsi que l’avait fait Antoine Vitez, leur maître et idéal absolu, les quatre pièces les plus fortes de Molière : Le Misanthrope, L’École des femmes, Tartuffe et Don Juan. Exactement de la manière dont l’avait faite eux-mêmes Molière et Vitez, c’est à dire avec pour seuls accessoires une table, deux chaises et un bâton.

Pas si simple le débat qui s’enclenche alors dans le couple sur la bonne table nécessaire : doit-elle être en bois ou en métal ? De style rustique ou industriel ? Petite ou grande ? Chacun y va de ses arguments, Charles finassant à perdre haleine sur ces détails qui pour lui n’en sont pas. Stan quant à lui veut en finir au plus vite et passer à l’action. En l’occurrence, la scène du Tartuffe où Orgon caché sous la table entend le faux bigot faire des avances à sa femme Elmire.

SMS fatidique

Mais on s’échappe très vite du cadre de ces répétitions et on passe à d’autres choses de la vie privée des deux comédiens, réelle ou fictive. C’est alors que survient un incident qui fait tout exploser : Charles lit sur le portable de Stanislas un SMS fatidique qui ne lui est pas destiné et qui comporte ces simples mots : « En fait, seulement la peau... », provenant d’un certain H. Et l’on se retrouve dans une pièce de Nathalie Sarraute où Stan, pris par un accès de folie paranoïaque, s’empare d’un mot, le dissèque dans tous ses sous-entendus possibles pour alimenter sa jalousie et sa souffrance alors que tout ne repose peut-être que sur un malentendu. Et la colère monte chez Stan qui ne peut conduire qu’à l’explosion.

Conçue dans une liberté absolue, la pièce n’obéit à aucune contrainte de forme, on est dans un yoyo perpétuel de registres et de styles où la « vraie vie » des artistes se confond avec celle de leur personnage. Des scènes impudiques succèdent à d’autres plus allusives, des apartés occupent les « silences » des didascalies, des scènes de théâtre dans le théâtre alternent avec celles de cinéma dans le théâtre. Dont un extrait de Ma Nuit chez Maud, d’Éric Rohmer, leur film-culte où jouait Antoine Vitez et la mère de Stanislas Nordey.

Il y a une scène de sexe un peu gênante, une scène de ménage fatigante, une scène d’agonie bouleversante, une scène de destruction inquiétante où chacun laisse exploser la violence qui l’habite et casse avec jubilation tout ce qui lui tombe sous la main. Avec des ellipses temporelles déconcertantes et, en leitmotiv, les sempiternelles diatribes de Pascal Rambert contre les critiques et le monde de la culture. Un yoyo aussi dans l’intensité avec quelques baisses de régime.

Ce qui ne faiblit pas en revanche, c’est l’engagement des deux acteurs qui, au besoin, n’hésitent pas à se mettre à nu (au sens propre du terme) dans des séquences pas spécialement avantageuses pour eux où Pascal Rambert leur demande manifestement beaucoup. Et ils donnent sans compter.

Deux Amis, jusqu’au 3 décembre au Théâtre du Rond Point, https://www.theatredurondpoint.fr Texte et mise en scène : Pascal Rambert. Avec : Charles Berling, Stanislas Nordey. Lumières : Yves Godin. Costumes : Anaïs Romand. Collaboration artistique et direction de production : Pauline Roussille.
Tournée du 26 au 28 janvier 2023, Liberté scène nationale de Toulon

Photo : Nicolas Martinez

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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