Du 11 au 27 janvier 2024 au Théâtre du Rond-Point.

40 degrés sous zéro, d’après Copi, par le Munstrum Théâtre.

De beaux interprètes scéniques explorent l’au-delà du genre.

40 degrés sous zéro, d'après Copi, par le Munstrum Théâtre.

L’oeuvre de Copi, auteur exilé argentin, fait appel à l’imaginaire du cinéma américain, du mélodrame bourgeois, du vaudeville et du théâtre intimiste, un univers hétéroclite déjanté, à la fois obscène, cruel, sincère, artificiel, horrible ou comique. Les conditions ou situations existentielles les plus graves et tendues sont abordées dans le rire, concernant des êtres marginalisés et rejetés sociaux, aux histoires extravagantes, voire fantastiques, à travers une écriture libre et lapidaire.


L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer (1971), situé en Sibérie, et Les Quatre Jumelles (1973), en Alaska, quand la dictature péroniste cerne ces deux huis-clos carcéraux, révèlent le monde de Copi, « peuplé uniquement de « folles », de « paumés », de travestis, d’androgynes, de maquereaux, de lesbiennes... Mais un monde, surtout, de souffrance et de solitude, de douleur et de révolte contre les mépris, les « interdits », les moralismes, les hypocrisies, emporté dans un délire bouffon, baroque, « hénaurme » et tragique ». (Didier Méreuze, Encyclopedia Universalis.)

Ce monde des marges, confidentiel et décalé, dans les années 1970, est aujourd’hui plus visible et davantage accepté, tel le consentement aux différences dont le théâtre de Copi était prémonitoire.

A travers l’image libérée des trans, l’oeuvre de Copi se fait universelle - création esthétique et poétique, personnages contrastés. 40° sous zéro est un spectacle visuel, sonore et théâtral, à la pluralité revendiquée et assumée dans le bonheur - métaphore d’un rapport au monde complexe, émancipé de la pensée dominante binaire, réductrice, simpliste : un projet politique extraverti - bruit et fureur -, traquant la vérité tendue entre le trivial et le sublime, gravité et joie.

Exil, affrontements, cauchemars et conflits toujours recommencés où le dominant et le dominé échangent sans cesse leurs rôles : jeux sur la réversibilité, l’interchangeabilité, la perte d’identité.

A l’orée de la représentation, silhouette imposante, une drag-queen fantastique et impérieuse, couverte de dorures à la Klimt et d’un plaid immense en patchwork, chante Girls just want to have fun  de Cyndi Lauper. L’Homosexuel laisse courir sur le plateau - pause et silence répétés - un chien qui flaire le sol, brosse à poils décoiffés de balai, dévorant les restes d’une drôle de viande sanguinolente, à laquelle s’attache la Madre, trans, sectionnant de sa hache une chair douteuse suspendue, destinée au repas de sa fille trans, fille que voudrait pour elle sa prof de piano trans…

Les quatre jumelles exposent deux couples de jumelles junkie, voulant quitter ces lieux totalitaires, fascinées par la pluie blanche d’héroïne qui coule de sacs accrochés à des fils, et qui s’injurient, « Salope ! », et s’exterminent : elles ressuscitent et basculent, de dominée à dominante.

Le jeu en vaut la chandelle grâce aux costumes, masques et prothèses de figures grotesques aux postures altières et aux mimiques faciales mobiles et expressives, dont les jeux de regards intérieurs ou d’oeillades adressées à l’autre - masculins, féminins, mêlés ou autres -, ne cessent de provoquer un beau vertige de sensations ludiques qui emporte à coup sûr l’adhésion du public.

La facétie et sa malice investissent la scène, via la virtuosité physique d’acteurs-danseurs qui se métamorphosent en l’Autre qui n’est que Soi, faisant de leur corps l’incarnation d’expressions justes, quelles qu’elles soient, prenant plaisir à jouer ensemble ces textes loufoques et vains, à la gestuelle exubérante, et battant le rythme, entre répétition et les mille possibilités de la scène.

Transgression jubilatoire, 40° sous zéro expose la figure déjà obsolète de la « folle », vu l’émergence actuelle du mouvement queer qui a changé le rapport à la sexualité et aux revendications politiques, à travers une vision de l’altérité plus radicale, décalant les personnages au-delà du genre, questionnant judicieusement les limites extrêmes de l’acteur et du théâtre.

Un feu explosif d’artifice scénique à effets lumineux, musicaux, verbaux, plastiques et sensoriels.

40 ° sous zéro - L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer & Les Quatre Jumelles de Copi. Une création originale du Munstrum Théâtre, texte de Copi, mise en scène Louis Arene, conception Louis Arene et Lionel Lingelser, dramaturgie Kevin Keiss. Avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Alexandre Ethève, Lionel Lingelser, François Praud. Création costumes Christian Lacroix, scénographie et masques Louis Arene, création lumière François Menou, création sonore Jean Thévenin, création coiffes-maquillages Véronique Soulier-Nguyen, regard chorégraphique Yotam Peled. Spectacle vu le 15 décembre 2023 au Théâtre 71 - Malakoff, Scène nationale. Du 11 au 27 janvier 2024, du mardi au vendredi 20h30, samedi 19h30, relâche dimanche et lundi, au Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 - Paris. Tél : 01 44 95 98 21, theatredurondpoint.fr
Crédit photo : Darek Szuster

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Véronique Hotte

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