Bruxelles, Opéra Royal de La Monnaie jusqu’au 21 septembre 2010

Yvonne, princesse de Bourgogne et Chambres d’à côté de Philippe Boesmans

Presque classique

Yvonne, princesse de Bourgogne et Chambres d'à côté de Philippe Boesmans

Ainsi donc l’Opéra Royal de la Monnaie à Bruxelles a découvert Yvonne, princesse de Bourgogne, le dernier opéra composé par l’enfant prodige de la musique belge d’aujourd’hui, Philippe Boesmans, cet éternel jeune homme que 74 étés n’ont pas réussi à vieillir. Tout comme son œuvre qui d’année en année prend la patine des traditions futures.

Un an et demi après sa création à l’Opéra National de Paris qui en avait passé commande, le conte noir du polonais Witold Gombrovicz, mis en musique par Boesmans, en livret et en scène par Luc Bondy, son inséparable compagnon de route lyrique, apparaît comme une œuvre de maturité et de plénitude. Presque un classique. Le spectacle présenté à Bruxelles est, à quelques détails près conforme à celui de la création de janvier 2009. (voir webthea du 27 janvier 2009).

Le décor en hauts murs de Richard Peduzzi, ses escaliers escamotables, ses baies vitrées comme des vitrines pour voyeurs, les coiffures fantasques et les costumes abracadabrants de Milena Canonero. Du Palais Garnier à la salle à l’italienne de la Monnaie, tout ou presque a retrouvé sa juste place. Quelques ajustements dus à la géographie des lieux et un vrai changement dans la dernière scène où le poisson géant en carton pâte, cette perche dont les arêtes vont enfin avoir raison de la vie de celle qui dérange, s’est mué en linceul, une toile blanche dans laquelle la princesse mal aimée va engloutir son repas forcé et se laisser ensevelir. Le symbole en est plus cruel.

La différence est dans la fosse

Les principaux rôles ont retrouvé leurs interprètes d’origine, l’irremplaçable comédienne allemande Dörte Lyssewski, qui ne chante pas et parle à peine et qui fait d’Yvonne un personnage de caoutchouc, une énigme vivante dont personne ne peut accepter la différence et qui renvoie chacun à ses secrets intimes. Paul Gay est toujours ce roi décadent aux allures de play boy bling-bling vitaminé, Hannah Esther Minutillo enfile à nouveau son manteau de peluche rose et ses escarpins. La blonde Mireille Delunsch, la reine aux hoquets est remplacée un soir sur deux par la brune soprano américaine Lisa Houben qui, sans atteindre ses voltiges et son humour vache, transforme la souveraine en midinette survoltée. Le ténor néerlandais Marcel Reijans succède à Yann Beuron en prince Philippe avec autant de fantaisie et de justesse ce qui n’est pas peu dire. De même Werner Van Mechelen, baryton basse, prend avec son aisance naturelle et sa dose pince sans rire les habits du Chambellan.

La différence la plus audible se situe dans la fosse : aux battues sèches, de Sylvain Cambreling, à sa précision chirurgicale, Patrick Davin, autre familier du répertoire de Boesmans, substitue une sorte d’empathie mélancolique qui ralentit le rythme et lui confère plus de densité. Donc plus de douceur et d’opulence apportés par les solistes de l’Orchestre symphonique de la Monnaie.

Hommage et création mondiale

En marge de la création de cet opéra, la Monnaie a voulu rendre un hommage particulier à son compositeur avec la création mondiale de sa dernière œuvre orchestrale Chambres d’à côté qui fut le point d’orgue d’un concert exécuté par l’ensemble Musiques Nouvelles sous la direction de Jean-Paul Dessy. Un tour d’horizon sonore réunissant des compositions étagées de 1974 à 2010. Autant de pauses de repos d’un opéra à l’autre ainsi que les définit Boesmans. Sur Mi, le premier, confectionné il y a 36 ans, s’écoute aujourd’hui comme un brillant exercice d’élève jouant à la manière d’un enfant parti à la recherche de couleurs pour habiller un Mi orphelin, voguant entre des fa dièse et des sol dièse. Un badinage pour deux pianos, un orgue électrique et des percussions.

Le jeu, le plaisir de jouer et le goût de ce plaisir semblent les maîtres mots qui caractérisent la musique de Boesmans. On le retrouve dans Ornamented Zone (1995) sorte de course poursuite entre clarinette et alto, tout comme dans son Sextuor à clavier (2006) où un quintette à cordes et un piano quittent délibérément les dissonances des musiques atonale pour renouer avec celles des traditions qui les ont précédées, dans la lignée des Brahms, Mahler ou Fauré.

Plaisir gourmand

Chambres d’à côté est né d’impressions domestiques, des rêveries et vagabondages à l’écoute des musiques qui s’échappent d’appartements voisins, chansons ou bribes de pièces symphoniques ou d’opéra, un patchwork de l’instant non programmé, non programmable. Il en fait six pièces distinctes et pourtant homogènes, traversées de son humour, de sa fantaisie, d’envolées syncopées, de trilles en pluies, de jeux de miroirs, toute une palette de nostalgies errantes. Jean-Paul Dessy et ses solistes ont de toute évidence pris à les jouer un plaisir gourmand et communicatif.

Yvonne, princesse de Bourgogne de Philippe Boesmans, livret de Luc Bondy et Marie-Louise Bischofberger d’après la pièce homonyme de W. Gombrowicz. Orchestre symphonique de la Monnaie, direction Patrick Davin, mise en scène Luc Bondy, décors Richard Peduzzi, costumes Milena Canonero, lumières Dominique Bruguière. Avec Dörte Lyssewski, Paul Gay, Mireille Delunsch (en alternance avec Lisa Houben), Marcel Reijans, Werner Van Mechelen, Hannah Esther Minutillo, Jason Bridges, Jean-Luc Ballestra, Guillaume Antoine

Bruxelles, la Monnaie : les 9, 10, 14, 15, 17, 18 & 21 septembre à 20h, les 12 & 19 septembre à 15h. –

+32 (0) 70 233 939 – www.lamonnaie.be

Le disque de la production française vient d’être gravé chez Cyprès avec tous les interprètes de sa création.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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