Critique – Opéra Classique

Winterreise de Franz Schubert

Une promenade mémorable dans un hiver onirique.

Winterreise de Franz Schubert

Franz Schubert (1797-1828) a trente-et-un ans lorsqu’il compose les douze premiers lieder du Winterreise-, en février 1827, à partir des poèmes de Wilhelm Müller découverts dans la bibliothèque d’un ami. Par la suite, il complète le cycle grâce à un second cahier de douze autres poèmes signés du même auteur. Il achève l’ensemble en octobre de la même année.

On a dit de ce Voyage d’hiver que c’était l’œuvre la plus triste du compositeur -pour lui l’hiver est le synonyme de la mort. Il faut souligner qu’au moment de son écriture Franz Schubert est malade, seul et angoissé par une fin prochaine : il ne lui reste d’ailleurs qu’une seule année à vivre,.

Le compositeur utilise un matériau musical concentré à l’extrême et qui va droit au cœur. Son ami Eduard von Bauernfeld (1802-1890) voit le recueil comme « une véritable confession musicale baptisée dans le sang d’une vraie et profonde souffrance ». Johann Mayrhofer, un autre de ses amis témoigne en 1829 : « L’ironie du poète, prenant ses racines dans le désespoir, trouva en lui un écho et lui donna une expression musicale mordante. J’en fus douloureusement ému. »
Wilhelm Müller (1794-1827), auteur des textes, est un poète du premier romantisme. Franz Schubert n’a aucun mal à s’identifier à cet artiste blessé, errant en plein hiver et qui disait « Je cherche une âme semblable à la mienne qui saisisse les mélodies glissées sous les mots et qui me les restitue » : il trouva Franz Schubert.

Un concert sous le signe de la rigueur

Massy, dans la banlieue sud de Paris, a accueilli le célèbre baryton Laurent Naouri. L’artiste, sobre et élégant, vêtu de noir, accompagné au piano par Maciej Pikulski, a interprété les vingt-quatre chansons demandant au public d’un simple geste de garder ses applaudissements pour la fin. La salle, totalement comble, a respecté un silence religieux pendant tout le concert.

Dès son entrée en scène Laurent Naouri adopte le ton juste avec « Gute Nacht » (« Bonne nuit »), l’impressionnante introduction qui annonce les sentiments qui vont dominer la soirée. Suit (« Der Weg gehüllt in Schnee » (« Le chemin enveloppé par la neige »). L’image ne peut être plus explicite. La vitesse d’exécution s’accélère avec « Die Wetterfahne » (« La girouette ») où la pureté de l’émission vocale de l’artiste se maintient, sa puissance s’affirme. La force expressive se manifeste dès la troisième chanson : « Gefror’ne Tränen » (« Larmes gelées ») qui fait jaillir les larmes, conséquence émotionnelle de la froideur qui envahi le poète. Le baryton s’est fait alors quelque plaisir en dégustant l’incomparable mélodie du « Der Lindenbaum » (« Le tilleul ») dont il a particulièrement veillé à personnaliser chaque strophe. Les larmes ont fait leur réapparition dans « Wasserflut » (« L’eau vive ») dans laquelle le chanteur a exprimé la notion du temps qui passe par le simple allongement de certaines voyelles ; en adoptant un ton doux et viril à la fois.

Laurent Naouri a poursuivi le concert, toujours attentif au moindre détail, introduisant de subtiles variations de ton, de volume, nuançant les propos du poète, en totale osmose avec la musique du compositeur. Soulignons finalement la clarté exprimée dans « Irrlicht » (« Feu follet »), la plénitude, l’amplitude de l’émission dans « Frühlingstraum » (« Rêve de printemps »), la relative gaité –encore un petit moment de répit consenti par le compositeur- exprimée dans « Die Post » (« La poste ») ou alors l’infinie tristesse à la fin du concert avec, coup sur coup, « Das Wirtshaus » (« L’auberge »), « Die Nebensonnen » (« Les autres soleils ») et par-dessus tout « Der Leidermann » (« L’homme à la lyre » ou peut être « L’homme à l’orgue de Barbarie ») au texte désespéré, qui conclut le voyage du poète et du musicien au bout d’un hiver qui n’annonce nullement le printemps.

Opéra de Massy le 2 février 2016.

www.opera-massy.com
+33 (0)1 60 13 13 13

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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