Asnière, Studio-Théâtre

Une des dernières soirées de carnaval de Goldoni

Amours et marchandages au bord de la lagune

Une des dernières soirées de carnaval de Goldoni

La pièce n’est pas la plus jouée de Goldoni. Mais ce n’est pas une comédie négligeable. Sous sa grande drôlerie, elle regorge de choses fortes et parfois sombres. La belle traduction d’Huguette Hatem, faite à partir d’un texte écrit en vénitien, aiguise son acidité. Goldoni, en effet, conte une « dernière soirée » mais aussi, malgré lui, ses derniers instants à Venise. Sans cesse attaqué par les tenants de la commedia dell’arte (on sait qu’il est hostile à l’improvisation et partisan du texte écrit et respecté par les acteurs), il envisage de s’exiler et laisse cette humeur-là s’infiltrer dans sa plume. Amer, il se cherche un ennemi imaginaire et il s’en prend aux Français, sans savoir que c’est en France qu’il va bientôt partir, pour y être reçu généreusement puis y mourir misérablement. Il y a en effet, au cœur de la comédie, un personnage de femme française prétentieuse, avare et calculatrice qui n’est pas à la gloire de notre pays !

Mais le thème d’Une des dernières soirées de carnaval, avec le leitmotiv de la passion du carnaval, c’est la question du mariage à l’intérieur de la bourgeoisie commerçante. Toute une série de jeunes gens est en scène mais la fille du riche fabricant d’étoffes pourra-t-elle épouser celui qu’elle aime ? Le père ne paraît pas très partisan de cette union : le jeune homme doit partir travailler à Moscou où il est attendu comme dessinateur de tissus ; s’il se marie, il emmènerait une fille trop aimée et trop nécessaire à Venise. Les événements permettront une happy end. Ces affaires de mariage sont un sujet très banal dans le théâtre classique mais, rarement, un auteur l’a aussi bien inscrit dans la peinture concrète d’un milieu professionnel. Bien mieux que Diderot qui plaidait pour la réalité sociale mais se prenait les pieds dans le pathos, Goldoni détaille les soucis et les enjeux de marchands œuvrant pour un négoce très précis.

Le spectacle, admirablement réglé par Hervé van der Meulen, court lentement vers les danses de la conclusion. Lentement et rapidement, car tout y a sa vitesse et son poids : les passions, les légèretés, les conflits, les apartés, les scènes à deux, les scènes collectives. Parmi les scènes collectives, une partie de cartes, pas à quatre comme chez Pagnol, mais à dix ou à quinze, s’y déroule et trouve une traduction scénique particulièrement étonnante, où tout est d’une tension et d’un enjouement partagé. Paul Delbreil et Maroussia Henrich interprètent avec une grande palette de nuances les deux tourtereaux mais tous les jeunes comédiens, qui composent l’essentiel de la distribution, font preuve également d’une grande intériorité dans la vivacité. Hervé van der Meulen campe un fabricant d’étoffes avec une bonhomie joliment ambiguë : il n’y a pas que bonté chez cet homme d’affaires. Yveline Hamon s’est chargée de composer la Française ridicule qui parle à la fois français et italien ; elle le fait avec une rare finesse dans la gestuelle et le phrasé d’un grotesque stylisé.

Toujours menacé – bien que les négociations avec les tutelles laissent espérer des solutions qui remédieraient à une situation fort difficile –, le Studio-Théâtre d’Asnières, que dirigent Jean-Louis Martin-Barbaz et Hervé van der Meulen, s’avère une fois encore un haut lieu pour le plaisir théâtral et l’éclosion des nouvelles générations d’acteurs.

Une des dernières soirées de carnaval de Carlo Goldoni

, texte français d’Huguette Hatem
 (éditions de l’Arche), mise en scène d’Hervé Van der Meulen
, assistant à la mise en scène Charles Leplomb
, décors de Claire Belloc, construction des décors d’Antoine Milian
, costumes d’Isabelle Pasquier
, lumières de Stéphane Deschamps
, chorégraphie de Jean-Marc Hoolbecq
 assisté d’Ariane Blaise
, régie générale d’Arthur Petit

, avec Cléo Ayasse-Sénia, Aurélien Bertrand, Ariane Blaise, Yanick Cohades, Paul Delbreil, Yveline Hamon, Maroussia Henrich, Basile Lacoeuilhe, Charles Leplomb, Harald Marlot, Félix Martinez, Coralie Russier, Laurette Tessier, Hervé Van der Meulen et Fanny Zeller. Studio-Théâtre d’Asnières, tél. : 01 47 90 95 33, jusqu’au 24 février 2013. (Durée : 2 h 30).

Photo Miliana Bidault

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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