Paris, Gaîté-Montparnasse
Un homme trop facile ? d’Eric-Emmanuel Schmitt
Alceste en tandem
En même temps qu’est sorti le film Alceste à bicyclette, voici une comédie qu’on pourrait baptiser « Alceste en tandem ». En effet, dans la nouvelle pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, deux misanthropes sont en scène. Alors qu’il s’apprête à jouer le personnage de la pièce de Molière et qu’il se regarde dans le miroir de sa loge, un acteur voit un inconnu surgir dans la glace, lui parler et même entrer dans la loge. C’est Alceste lui-même qui vient dire au comédien des choses peu agréables : il n’a pas compris le rôle. Son personnage, c’est un irréductible, un radical ; il ne faut pas le jouer trop charmant, trop humain. Il ne faut pas non plus adopter des attitudes trop aimables avec son prochain. Alors que la représentation doit commencer dans un instant, la discussion se développe et s’envenime. Alceste veut interdire à l’acteur Alex de jouer son rôle. Alex n’entend pas obtempérer et soutient qu’il faut croire en l’humanité, accepter les défauts de chacun, être misanthrope peut-être, mais dans la nuance. Tandis qu’ils se chamaillent passe un ballet de personnages : l’actrice qui va jouer Célimène qu’Alex aimerait bien prendre dans ses bras, l’habilleuse, un auteur qui vient proposer son texte à l’acteur, la fille du comédien plus ou moins en accord avec la carrière de son père.
Contre Molière
On sait que le succès d’Eric-Emmanuel Schmitt tient en partie à ce qu’il a renoué avec un répertoire qui disparaissait, le théâtre philosophique, le théâtre de débat. Il a fait résonner en scènes les arguments de Don Juan, Freud, Diderot ! Cette fois, il entre dans le domaine des idées sur deux fronts. D’abord, et avant tout, il conteste la vision de Molière pour qui il faut préférer la solitude au commerce mondain. Ensuite, au second plan, il défend un théâtre populaire, accessible, contre un théâtre prétentieux, fermé au plus large public. Pour cette deuxième prise de position, il fait entrer un écrivain qui a tous les défauts du graphomane vaniteux… La mise en scène de Christophe Lidon, vive et jouant avec allégresse sur les effets de miroir, a du mal à se développer dans un décor de Catherine Bluwal qui ne favorise pas la circulation des acteurs. Bien des choses ont tendance à faire années cinquante : la partie professorale du texte, ce décor de guingois trop rougeoyant, cette atmosphère de loge conçue comme un nid de polissonneries autant que comme un salon philosophique, la pensée de l’auteur s’incrustant férocement dans les propos des personnages…
Vaudeville et philosophie
La soirée n’est pas désagréable pour autant. Si les scènes de vaudeville sont un peu convenues, les conversations sur le thème d’Alceste sont musclées. Roland Giraud prend quelque temps à se dépouiller de son image de comédien comique et trouve peu à peu une belle sensibilité. Jérôme Anger n’interprète que l’aspect sombre d’Alceste mais l’auteur plombe ce personnage dont il a fait une cible détestée plus qu’un adversaire estimé. Julie Debazac donne un grand éclat et une drôlerie mordante au personnage de la séductrice dédaigneuse en coulisses comme Célimène dans la pièce. Sylvain Katan pousse jusqu’à l’énormité, et avec talent, le personnage de l’auteur encombrant et érotomane. Marie-Christine Danède et Ingrid Donnadieu assurent, enfin, les rôles de passantes de second plan mais révélatrices de la vie de coulisses. En somme, un Schmitt qui renouvelle plus sa thématique que sa manière d’écrire.
Un homme trop facile ? d’Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Christophe Lidon, décor de Catherine Bluwal, costumes de Claire Belloc, lumières de Marie-Hélène Pinon, son de Michel Winnogradoff, avec Roland Giraud, Jérôme Anger, Julie Debazac, Marie-Christine Danède, Ingrid Donnadieu, Sylvain Katan. Gaîté-Montparnasse, tél. : 01 43 22 16 18. (Durée : 1 h 45).
