Un dictionnaire pour le romantisme

30 collaborateurs, 1 000 pages, une somme de plus de 600 articles : le romantisme reste pour autant impossible à saisir.

Un dictionnaire pour le romantisme

Le romantisme a désormais son dictionnaire, ce qui peut a priori sembler légitime, car le romantisme est un monde ; ce qui peut également paraître une entreprise désespérée, aussi volumineux soit ce dictionnaire, car le romantisme est une notion qui ne se laisse pas dompter, a fortiori limiter, sauf à l’envisager sous l’angle scolaire.

Les articles de ce dictionnaire ont été rédigés par une trentaine d’universitaires (1) dont certains viennent du Canada ou de Roumanie, et non pas d’écrivains ou de poètes. Il s’agit d’une œuvre scientifique, éditée par le CNRS, qui navigue entre deux doubles écueils qu’on peut formuler ainsi : faut-il donner dans la veine académique ou au contraire envisager autrement le romantisme, qui est tout sauf une école ? faut-il être passionné ou bien tendre vers l’objectivité, impossible et de toute manière peu désirable ? Des auteurs plus enflammés, malmenant le principe de l’ouvrage (le romantisme n’est-il pas un tumulte ?), nous auraient épargné des expressions telles que le refus « principiel » (article « Baudelaire »), l’« instance auctoriale » (Introduction) ou la cuistrerie de l’article « Fragment ». Mais il s’agit d’une somme organisée, et il faut la prendre comme telle.

Alors, ne soyons pas mesquins face à ces mille pages de savoir. Et s’il est toujours possible de relever quelques erreurs (Frédéric-Guillaume de Prusse rebaptisé François-Guillaume, p. 338, Rossini prénommé Giacomo ou encore Schelling et Schiller classés après Shelley), saluons les nombreux articles qui, au-delà des individus, des formes ou des courants obligés, apportent des éclairages inattendus ou savoureux (« Boulevard », « Contrefaçon belge », « Désapprentissage », « East India Company », « Enfant », « Égypte », « Île », « Langeweile », « Oiseau », « Passages », « Poésie gauchesque »...). Saluons aussi comment, dans l’Introduction même, quelques paragraphes remettent à l’honneur le rire, notion qu’on ne rapproche pas si aisément de la mélancolie romantique.

Affolement de l’Histoire

Le diable, paraît-il, gît dans les détails. On remarquera que la difficulté même à intituler cet ouvrage témoigne du côté asphyxiant de la tâche qu’il s’est fixée : s’agit-il d’un « Dictionnaire du Romantisme », comme l’annonce la couverture ? oui mais plus loin, le titre semble être « Le romantisme », et l’avant-propos à l’ouvrage précise : « Le Romantisme mondial se présente comme un dictionnaire encyclopédique ». Profitons-en d’ailleurs pour signaler combien ce volume nous fait voyager puisqu’il explore le romantisme en Allemagne, en Angleterre, en France, mais aussi en Grèce, en Finlande, en Amérique hispanique, etc. La question reste toutefois entière : le romantisme est-il devenu mondial ou s’agit-il d’une prédisposition propre à certains tempéraments, indépendamment de toute époque et de tout lieu ?

On a cité l’avant-propos : il est suivi d’une Introduction qui n’est pas signée mais il est vraisemblable que l’auteur en soit Alain Vaillant, directeur de l’ouvrage et par ailleurs directeur de la revue Romantisme. Une Introduction copieuse, mais qui conserve un ton prudent, là où le sujet mériterait un tout autre engagement. L’auteur part d’une question simple et légitime (« Le romantisme existe-t-il ? »), essaye de cerner l’objet de son étude, son lexique, sa chronologie (« à géométrie variable »), sa géographie, mais au fil des pages se met à englober tout et son contraire, comme si la sensibilité si particulière qui a mûri au fil du XVIIIe siècle et s’est épanouie jusqu’en 1848, environ, pouvait se réduire à une époque ou, plus simplement, au XIXe siècle (la revue Romantisme porte d’ailleurs comme sous-titre « Revue du dix-neuvième siècle »). De même, proclamer que le romantisme incarne une première mondialisation (p. XCII et suiv.), c’est confondre élan romantique et civilisation des XVIIIe et XIXe siècles. L’accélération des échanges, les progrès de la locomotion, les avancées techniques, ont en effet permis aux hommes et aux œuvres de circuler de plus en plus vite, mais le romantisme ne peut pas être assimilé à la prospérité du commerce, à la consommation satisfaite ou à l’optimisme bourgeois.

Car c’est exactement le contraire : le romantisme est d’abord une sensibilité, et Friedrich Schlegel, qui lui annexe Cervantès et Shakespeare, avoue à son frère qu’après avoir barbouillé plusieurs centaines de pages il n’a toujours pas réussi à définir le mot. Or, si la sensibilité romantique a commencé de sourdre au XVIIIe siècle, c’est que des âmes inquiètes ont alors pris conscience de la manière dont la civilisation européenne, à la faveur de la révolution industrielle puis de la Révolution française, allait subir une mutation qu’on peut définir comme une accélération du temps. Tout à coup l’Histoire s’emballe, le temps ne s’apprécie plus à l’aune de l’éternité, la bourgeoisie va l’enjoindre de devenir rentable, le rêve et la contemplation auront de moins en moins lieu d’être. Et c’est de ce constat que naîtra la sédition romantique, qui est le soulèvement de quelques esprits soucieux de laisser leur chance à la nuit et au silence (meurtris par le feu et le bruit des forges), à la nature (graduellement dévastée par l’industrie), à l’art en tant qu’il témoigne de la présence de l’absolu et de l’infini en l’homme. Le romantisme est une révolte devant le temps qui se déchaîne, et c’est pourquoi le XIXe siècle n’est pas romantique.

Un temps qui se disjoint

Il ne faut pas se laisser prendre au piège des images. Les costumes, les coiffures, les calèches disent une mode, un air du temps, mais ne traduisent pas ce qui se cache au fond des cœurs ou des cerveaux. L’époque qui voit fleurir le romantisme n’est pas romantique, par définition, puisque le romantisme se dresse contre son époque et la fuit car elle l’épouvante. Alors, toute révolution est-elle vraiment « par essence romantique », comme l’annonce l’Introduction (p. XXXIV) ? Ils semblent que certains soient d’un avis différent : les pages les plus féroces sur la révolution de 1848 se trouvent dans la correspondance de Berlioz et dans L’Éducation sentimentale.

Ainsi, il n’y a pas d’époque romantique. Il y aura toujours des imaginations insurgées. Et si le romantisme s’est concentré au XVIIIe et s’est affirmé avec éclat au XIXe, c’est parce que la violence de cette époque (ou sa bêtise, ou sa cupidité, ou sa grossièreté, ou sa fureur) a exacerbé certaines sensibilités en les enjoignant de jouer le rôle de veilleurs de nuit face au jour aveuglant et assourdissant qui menace. Hamlet, le plus lucide des témoins, ne veut surtout pas être acteur d’un devenir qu’il récuse.

L’Artiste comme un dieu

Le romantisme est le fait d’individus, c’est lui qui a magnifié l’Artiste et en a fait un rival de Dieu. C’est pourquoi on peut s’étonner que le présent Dictionnaire soit à ce point obsédé par ce qu’on appelle la modernité (dans l’Introduction mais aussi dans les articles « Baudelaire » « Bertrand (Aloysius) », « Chateaubriand », « grotesque », « musique »...). Modernité  : à la fois mot commode pour ne rien dire (le XIXe siècle, savez-vous, succède au XVIIIe et annonce le XXe !), mais aussi mot qui sous-tend la foi en le progressisme. (2) Le romantisme présage la modernité ? C’est donc que notre époque l’accomplit ! Mais est-ce vraiment grandir le romantisme, est-ce entrer en sympathie avec lui que d’en faire quelque chose de platement moderne, lui qui se cabre au contraire et qui vise à l’éternité ?

Loin d’avoir compris l’imposture de l’Histoire, notre XXIe siècle commençant est celui de la massification à outrance et de l’indistinction. Contrairement à un lieu commun, il est tout sauf individualiste, si l’on définit l’individualisme comme le culte de l’individu, c’est-à-dire de soi et de chacun des autres. L’égoïsme grégaire n’est ni un individualisme, ni un romantisme.

On s’attristera donc que manque à l’appel un article « Artiste », même si l’on sait que toute entreprise éditoriale est affaire de choix, de même qu’on peut déplorer que fassent défaut un article « Janin (Jules) », dont le nom est cité en passant dans l’article « Guillotine », un article « Mahler (Gustav) », un article « Lewis (Matthew) », un article « Diderot », un article « Rousseau », etc.

Très étonnant aussi : ne figure dans ce Dictionnaire aucune mention des travaux de Michel Le Bris, qui n’est même pas cité dans la bibliographie (pourtant copieuse, et où figurent bien des auteurs mineurs), alors que trois de ses ouvrages (L’Homme aux semelles de vent, Le Paradis perdu et le Journal du romantisme) ont bouleversé l’approche du sujet. Mais peut-être Michel Le Bris a-t-il eu le tort de définir le romantisme comme « une nébuleuse en infinie dispersion », c’est-à-dire comme une manière d’être au monde qui restera toujours insaisissable.

Dictionnaire du romantisme, sous la direction d’Alain Vaillant. CNRS éditions, 2012, 957 p., 39 €.

(1) Au fait, pourquoi telle collaboratrice est-elle intitulée professeure, au féminin, et telle autre maître de conférence, au masculin ?
(2) Je me permets de renvoyer le lecteur à un article intitulé « Modernité, un poncif de notre temps » que j’ai fait paraître dans la revue Le Débat, n° 115. Ceux qui aiment s’amuser peuvent noter les nombreuses occasions qu’a le mot modernité de s’afficher, d’ailleurs, aujourd’hui plus que jamais. Par exemple, sur une plaque fixée au mur d’un hôtel fraîchement rénové à Nancy : « Côté chambre, on a joué la carte de la modernité » ; ou dans le journal Le Monde daté du 5 juillet 2012, à propos d’un éventuel nouveau parvis devant la cathédrale Notre-Dame de Paris : « ... créer au cœur de Paris une modernité digne de notre pays » ; ou sur le site internet de la salle Métropole à Lausanne : « Le Métropole peut être défini en deux mots : Histoire et Modernité » ; ou à propos d’une mise en scène de Carmen par Yves Beaunesne : « Il s’agit plutôt de donner une forme de modernité à la tradition » (dans Opéra Magazine n° 79, p. 28) ; ou dans le Guide vert : « L’Écosse fait partie des régions qui savent concilier avec bonheur les exigences de la modernité et le charme des tradition », etc.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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