A Paris, au Théâtre de l’Atelier
Together de Dennis Kelly
Huis-clos conjugal au temps du confinement
Dennis Kelly aborde la pandémie du covid qui bouleversa le monde en 2020 et assigna à résidence pendant plusieurs semaines des millions d’individus. Le dramaturge évoque cette période violente et angoissante à travers l’histoire d’un couple de quadragénaires de la classe moyenne au bord de la rupture que seul leur fils Alfred empêche de divorcer. Le confinement exacerbe la situation déjà conflictuelle des protagonistes au bord de la crise de nerf, désignés par les pronoms impersonnels Elle et Lui, manière d’universaliser le propos. On assiste sur le mode du stand up, à leurs assauts, à leurs pathétiques tentatives de réconciliation. Les comédiens s’adressent parfois au public qu’ils prennent tour à tour à témoin.
Comment supporter l’autre pendant de longues semaines sans échappatoires possibles quand on ne supporte plus sa présence ? Elle et Lui se détestent, les invectives et les flèches empoisonnées fusent. Elle travaille pour une ONG et se dit de gauche, Lui est consultant informatique et conservateur. Si leurs différences les rapprochèrent autrefois, elles renforcent maintenant leur éloignement. Ce climat de tensions conjugales n’épargne pas le petit Alfred (on ne le verra jamais) qui semble développer un intérêt malsain pour les choses morbides sans doute à cause des nouvelles extérieures des nombreuses morts causées par la pandémie et par la relation parentale source d’angoisse.
Emmanuelle Bercot et Thomas Blanchard restituent avec beaucoup de justesse toutes les facettes de leurs personnages. Ils passent avec aisance et vivacité des scènes de disputes violentes aux moments d’interrogations sur la place des sentiments dans le couple, à la douleur lors de la mort de la mère. Cette confrontation rugueuse est ponctuée d’un humour guerrier qui malgré la charge soulage provisoirement les tensions.
Dennis Kelly évoque des situations partagées à cette époque par beaucoup. La perte de la mère âgée, isolée dans une maison de retraite, qui meurt du covid contracté, supposent-ils, à cause de l’insuffisance des mesures sanitaires instaurées par le gouvernement. La violence de l’enterrement furtif et en comité restreint. Le dramaturge offre une critique sans concessions de la société. Il rappelle l’égoïsme de certains qui dévalisaient les rayons de supermarchés, mais aussi l’admiration pour ceux qui étaient en première ligne. Secoués par cet épisode brutal, nous avons naïvement imaginé que le monde serait plus juste après la pandémie, comme l’illustre la conversation avec l’employée de la supérette. Le caractère politique donne à la pièce une portée plus large qu’une chronique sur les difficultés d’un couple en crise.
La mise en scène de Mélanie Leray s’appuie sur la proximité avec le public dans un décor très sobre qui évoque l’appartement du couple. En fond de scène, la projection vidéo d’une forêt est le cadre lointain de confidences au sujet d’une histoire obscure et drôle de projet d’empoisonnement réciproque aux champignons. Together nous rappelle une sombre page de notre histoire et nous invite à nous interroger sur les traces que cette pandémie a laissé dans les comportements individuels et sociétaux.
Together de Dennis Kelly. Traduction : Philippe Lemoine, Edition L’Arche. Mise en scène : Mélanie Leray Avec Emmanuelle Bercot et Thomas Blanchard
Lumière : François Menou. Assistante : Anne de Queiroz. Scénographie : Damien Rondeau, Danila Fatovich et Mélanie Leray. Musique : Sylvain Jacques. Vidéo : Cyrille Leclercq. Costumes : Laure Mahéo
Théâtre de l’Atelier. À partir du 16 janvier 2024. Durée 1h30.
© Simon Gosselin
