Paris, Comédie-Française

Tartuffe de Molière

Une mise en scène subtile et élégante

Tartuffe de Molière

On a tendance à attendre beaucoup d’une pièce si souvent mise en scène dont l’universalité autorise tant de lectures différentes selon les points de vue. Galin Stoev propose une mise en scène qui avance masquée. Jouant la carte du classicisme, il distille des éléments originaux qui s’infiltrent dans le spectacle et lui donnent une dimension inquiétante. Le temps d’un changement d’acte, derrière les miroirs sans tain des valets s’activent ; ils enregistrent, écoutent on ne sait quoi tels des espions "infiltrés". Un détail qui suggère que la famille est rongée par la suspicion, par le manque de cohésion et de communication. La scénographie de Alban Ho Van évoque un grand salon mondain où tout n’est qu’apparence, jeux de reflets dans les grands miroirs. Les amples robes chamarrées des femmes, le costume tout en fanfreluches de Cléante, le frère de monsieur Orgon, contribuent à cette impression. En contraste, Laurent (Valentin Rolland), le garde du corps de Tartuffe, est un double tout de noirceur ; à la fin de la pièce, il sera l’ange blanc qui vient apporter la bonne nouvelle de la grâce du Roi (révérence oblige au protecteur de l’auteur) qui sauvera la maison d’Orgon des filets de Tartuffe dont les escroqueries sont dorénavant connues.

Radiographie familiale

Le metteur en scène radiographie cette famille dont les membres se sont perdus de vue. Dans cette perspective, Tartuffe l’imposteur, ne serait, d’une certaine manière que la créature d’Orgon. Il aurait bénéficié du naufrage familial. L’instrumentalisation religieuse est présente mais déplacée. Orgon apparaît comme celui qui tire les ficelles tandis que Tartuffe assiste, cynique et impassible, à son couronnement. Didier Sandre donne à Orgon des lettres de noblesse, insufflant au personnage une classe et une élégance inhabituelles ; Michel Vuillermoz, sanglé dans son costume noir d’homme d’église et de prédateur, impressionne ; il travaille dans la sobriété la plus extrême faisant de Tartuffe un être mystérieux et redoutable, jusqu’à la scène de la séduction d’Elmire, la femme d’Orgon (la piquante Elsa Lepoivre) où le masque tombe en même temps que les bas noirs sur les chevilles du faux dévôt, un striptease hilarant.

Une distribution impeccable

Le Cléante de Serge Bagdassarian respire une bonhomie pleine de sagesse ; Cécile Brune est une Dorine énergique, plus que raisonneuse. On pourra s’étonner du choix du costume qui ne marque en rien sa condition de domestique. Pourquoi effacer les différences de classe alors que chez Molière les domestiques sont souvent les détenteurs de la raison ? Claude Mathieu interprète justement les désarrois de madame Pernelle, la mère d’Orgon. Anna Cervinka (Mariane, la fille d’Orgon et d’Elmire), Christophe Montenez (Damis, son frère) et Nâzim Boudjenah (Valère, son amoureux) forment un trio de jeunes gens délicieux d’impétueuse insoumission. Michel Favory tient le court rôle de monsieur Loyal avec un brin d’ironie, courtois porteur de mauvaises nouvelles ; en fait, sbire en costume militaire des anciens pays de l’Est qui nous ramène au climat de surveillance généralisée qui a gangréné la famille.
L’esprit de finesse préside à cette mise en scène subtile et élégante qui pimente la comédie de sombres miroitements.

Tartuffe de Molière. Mise en scène Galin Stoev. Scénographie Alban Ho Van. Costumes, Bjanka Adžić Ursulov ; lumières Elsa Revol ; musique originale, Sacha Carlson. Avec Claude Mathieu, Michel Favory, Cécile Brune, Michel Vuillermoz, Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian, Nâzim Boudjenah, Didier Sandre, Anna Cervinka, Christophe Montenez, Claire Boust, Ewen Crovella, Thomas Guené, Valentin Rolland. A la Comédie Française, jusqu’au 17 février 2015 à 20h30. Durée : 2h15.
Rés. 0825 10 1680.
www.comedie-francaise.fr

photo : Christophe Raynaud de Lage

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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