Shakespeare, Plensa et Pons vaincus par Verdi

Soirée mondaine au Liceu : dans Macbeth, Jaume Plensa fait du Jaume Plensa. Comme on s’y attendait.

Shakespeare, Plensa et Pons vaincus par Verdi

ÉCARTONS UN POSSIBLE MALENTENDU : l’ovation debout réservée à Jaume par le Tout Barcelone, à la fin de la soirée, était destinée à célébrer l’œuvre du célèbre sculpteur catalan. Et non à sa première mise en scène. Signée par un inconnu, elle aurait mérité de discrets applaudissements de courtoisie, sans plus.

Au lever du rideau, un énorme écriteau en anglais (« Sleep no more ») semblait vouloir anticiper l’angoisse du protagoniste après l’assassinat du roi et annoncer sur scène des références à venir aux textes de Shakespeare. D’autre part, le déchaînement de l’orchestre – trompettes, cymbales et tambour à profusion pendant l’ouverture – semblait figurer la férocité de la bataille (gagnée et perdue) qui ouvre la pièce de théâtre. Par la suite, le rythme suave des mélodies des sorcières verdiennes (tout à fait non shakespeariennes) a rapidement convaincu Plensa et Pons qu’il leur serait difficile lutter contre le maestro. Ils ont vite lâché prise. La force théâtrale shakespearienne disparue par décision du compositeur, Josep Pons a poursuivi son travail en bon connaisseur de la partition. Il a maintenu un bon équilibre entre les pupitres et contrôlé les vents (sauf dans l’ouverture). Les cordes et les bois ont donné aux mélodies toute leur intensité. Il a respecté les voix (mais comment empêcher les cris de Madame Radvanovsky ?), maintenu le bon ordre pendant les ensembles et, bien qu’il ait perdu le chœur (Pablo Assante) à plusieurs reprises, il l’a accompagné comme il se devait à chaque intervention. Josep Pons a livré en définitive une version de qualité de l’œuvre, en tout cas conforme à la tradition.

Une mise en scène sans âme

La très attendue mise en scène de Jaume Plensa (sa première, donc) fut autre chose. Signataire aussi des décors et des costumes, le sculpteur catalan, n’a pas voulu situer l’action à un endroit précis. Il a, au contraire, utilisé le décor et les accessoires majoritairement pour nous expliquer l’action. Ainsi, il couvre de lettres (magnifiques) le fond de la scène pour signifier que Lady Macbeth a entre les mains une lettre ; il attache les deux époux avec une corde afin de montrer leur complicité dans le régicide qu’ils vont commettre ; ou encore, il projette des yeux rougis (vidéo de Joan Rodón) au fond de la scène pour suivre du regard… on ne sait pas très bien quoi.

Le metteur en scène expose des œuvres créées pour l’occasion : trois magnifiques statues géantes illustrent le ballet, une impressionnante tête (hyperréaliste, selon le programme) préside à l’introduction, puis ici ou là apparaissent d’autres éléments de sculpture qu’on a eu du mal à mettre en relation avec l’histoire. Pour le reste, il laisse la scène vide de tout élément de décoration la plupart du temps, et c’est au responsable de l’éclairage (Urs Schönebaum) de nous faire comprendre la tension régnant sur le plateau : l’ombre chinoise en noir sur fond rouge (genre Société générale) est utilisée le plus souvent à cette fin. Sur scène, il laisse entière liberté de mouvement aux chanteurs. Ils en profitent bien en minimisant les expressions dramatiques et les déplacements pour se centrer sur le chant, à la manière d’avant les années soixante du siècle dernier.

Les costumes, également signés Jaume Plensa, n’aident pas non plus à situer l’histoire. Que penser des hommes vêtus d’élégantes robes de chambre aux dessins de style extrême-oriental (vus de loin) et des armées équipées de cannes (en bambou ?) pour tout armement à la fin de l’histoire ? Peut-être Plensa se réfère-t-il au film d’Akira Kurosawa Le Château de l’araignée (1957), transposition de Macbeth dans un Japon moyenâgeux, à moins qu’il ait souhaité rendre hommage aux sempiternels choix scéniques de Robert Wilson. Par ailleurs il habille curieusement les membres du chœur en juifs-exilés-à-Babylone, prêts à chanter « Va pensiero » ; curieuse métamorphose des soldats anglais vainqueurs de Macbeth chantant le magnifique chœur « La patria tradita » à la fin de l’opéra !

Il est impossible, avec une telle présentation, abstraite et somme toute vide, de suivre l’histoire, et la soirée est ainsi réduite à un récital de chansons, plus ou moins bien interprétées, sur fond d’œuvres du sculpteur catalan… ou de rien du tout. Jaume Plensa a misé sur un travail plat, sans risques. Néophyte et prudent, il a peut-être eu raison d’agir de la sorte.

Citons cependant trois points positifs de sa mise en scène : les trois sorcières de Shakespeare, normalement inexistantes à l’opéra, font cette fois leur apparition : elles dansent pendant que le triple chœur de femmes chante (« M’è frullata nel pensier… ») les jolies mélodies légères verdiennes au fond de la scène, dans l’obscurité. On applaudit surtout le maintien du ballet au début du troisième acte, sous une forme loufoque et déglinguée, qui interrompt, délibérément et à bon escient, l’action violente (ou sensée l’être) sur scène. Une recréation pour le spectateur. Les mouvements des chœurs, finalement, sont discrets et bien agencés.

Les cris l’emportent sur les voix

Sur le plateau, Sondra Radvanovsky (Lady Macbeth) remporte un succès fulgurant dès la lecture de la célèbre lettre (« Che al sangue incorate… »), en particulier grâce à ses aigus d’un fortissimo excessif (que les licéistes du cinquième étage apprécient grandement), capables de couvrir l’orchestre, le chœur et les autres solistes lors des ensembles. Presque inaudible dans le registre grave, elle excelle surtout lors des passages en cantabile (malheureusement peu fréquents cette fois-ci), par la douceur et la qualité de son legato, la flexibilité de son émission, son timbre agréable, régulier et reconnaissable. Le baryton Luca Salsi (Macbeth) comprend très vite qu’il est important de crier fort et, bien qu’il essaye de se mettre à la hauteur de sa partenaire, il n’y parvient pas. Ce qui ne l’empêche pas de chanter le personnage avec courage et de façon correcte.

Si l’Uruguayen Erwin Schrott (Banco) peut faire illusion lors de sa première intervention (il se trouve alors à côté de Luca Salsi, très timoré en début de soirée), il n’atteint pas par la suite le niveau qu’on pourrait attendre d’un baryton-basse interprétant ce rôle. Francesco Pio Galasso (Macduff) et Fabian Lara (Malcom) reçoivent des applaudissements plutôt froids, bien en accord avec leurs brèves et modestes interventions. Gemma Coma-Alabert (la Dame de compagnie), est applaudie en tant que figure stable et reconnue de la maison. Une petite et agréable surprise : la voix de David Lagares à la fin de la soirée.

Illustration : un ballet pour Macbeth (photo David Ruano)

Giuseppe Verdi : Macbeth. Luca Salsi (Macbeth), Erwin Schrott (Banco), Sondra Radvanovsky (Lady Macbeth), Gemma Coma-Alabert (la Dame de compagnie), Francesco Pio Galasso (Macduff), Fabian Lara (Malcom), David Lagares (le Médecin, le Serviteur, le Sicaire, le Héraut). Mise en scène, décors et costumes : Jaume Plensa. Lumières : Urs Schönebaum. Chœur du Gran Teatre del Liceu (dir. Pablo Assante). Chœur d’enfants Amics de la Unió (dir. Josep Vila). Orchestre symphonique du Gran Teatre del Liceu, dir. Josep Pons. Gran Teatre del Liceu, 16 février 2023 (représentations suivantes, avec des distributions variées, les 18, 19, 20, 22, 23, 25, 26 et 28 février, 1er et 3 mars.

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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