Sauvez Bâtard de Thymios Fountas au Focus Premières, la Suite - Jeunes Scènes européennes au Maillon de Strasbourg.
Les difficultés de grandir et de s’aimer quand on est jeune.
Thymios Fountas est un metteur en scène, auteur et comédien belgo-grec, né à Copenhague au Danemark. Sauvez Bâtard est sa première mise en scène, créée au Théâtre de Liège en avril 2023 dans le cadre du Festival Emulation où elle remporte le Prix Emulation du jury international et le Prix Coup de cœur des jeunes.
Et justement être jeune, au départ de la vie : comment pouvoir s’aimer quand l’horizon s’effondre ?
Dans le futur, une sorte de terrain vague aux airs de fin du monde, sans ciel. Bâtard est jugé par un tribunal de rue, composé de Clébard, Clochard et Cafard, pour un meurtre dont il a peine à se souvenir. L’a-t-il vraiment commis ?
Avec ses pouvoirs de poète, il crée des trouées dans l’espace-temps, des flashbacks sur la nuit passée. Apparaît Ekart, l’idole du quartier, seul à prétendre à un avenir professionnel grâce à ses cours d’anglais.
Le ton de la pièce oscille entre humour grotesque aux jeux de mots ridicules et juvéniles, d’un côté, et de l’autre, noirceur romantique - emphase et atermoiement sur la ruine. La parodie permet une cohabitation heureuse des genres - tragique et comique. Et l’insolence décidée de la dérision conte une autre histoire, en marge des grands récits tragiques unificateurs.
« Une fable à cinq personnages sur le non-grandiose, le petit, le honteux, les laissés pour compte, les bizarroïdes, les freaks, avec importance et ridicule, jeu et érotisme. Au cœur de l’histoire, il y a of course l’amour. Un amour brisé, malade, entre la romance kitsch, le super-drama, et la sincère blessure de la perte.
Entre lyrisme et trivialité, l’écriture explore de nouveaux rivages, revendiquant un style inédit où les mots et les sons fusent comme des météores. Entre le terrain de jeu et le champ de bataille, la poésie - images paradoxales et hallucinatoires - réinvente un argot. » ( Jean-Gabriel Vidal-Vandroy).
Le mythe du poète ou du créateur, essentiellement masculin, est déjoué puisque Bâtard, est une comédienne - trouble et ambigüité -, et la pièce est une réécriture libre du Baal de Brecht. Hybride et queer, Bâtard choisit l’entre-deux, frayant avec Ekart, amoureux, à la virilité écorchée, et qui répète : « Je suis pas pédé » -, un écho au contexte abîmé, entre mise à nu et effritement de la masculinité, une autre forme de puissance pour Ekart.
Ce héros du quartier incarne la possibilité d’une ascension sociale, cristallise l’admiration. Sportif et bilingue, Il coche toutes les cases exigées par « le capitalisme anglo-saxon numérique ubérisé ». Son drame est de s’être construit de l’extérieur, selon les attentes de son milieu.
A l’opposé de Bâtard, un raté : « J’ai rien à voir, dehors. J’adéquate pas. J’suis comme un faucon en cage, une invariable buse, un raté taré. Et je tape mon bec contre les barreaux quand passent les étourneaux. Et quand je sors, le ravage. Comme t’as vu. »
Le terrain vague pour seule possibilité d’aimer, espace où l’on rencontre un cadavre. Les interprètes Alizée Gaie, Alix·ce Bisotto, Chloé Larrère, Lode Thiery et Samuel Van der Zwalmen, accoutrés comme dans un jeu de déguisements enfantins aux couleurs fluo, dessinent chacun leur personnage avec à la fois rigueur et facétie.
D’un côté, le trio de la rue, Clébard, Clochard et Cafard, inénarrable et improbable, inventif et patient. De l’autre, le duo Bâtard et Ekart, entre projection passéiste d’un Paradis perdu et celle tournée vers l’avenir, le monde qui va - bonne volonté et niaque effervescente de qui veut bien.
Un spectacle divertissant - thématiques du jour, rythme tendu et plaisir récréatif de jouer.
Sauvez Bâtard écriture et mise en scène de Thymios Fountas, scénographie Ces Füllemann, création musicale et sonore Jan Wallyn, création lumière Alice De Cat. Avec Alizée Gaie, Alix·ce Bisotto, Chloé Larrère, Lode Thiery et Samuel Van der Zwalmen.
Focus Premières, la Suite - Jeunes Scènes européennes - Spectacles, tables rondes, rencontres, DJ Set, du 10 au 18 novembre 2023 au Maillon - Scène européenne- Strasbourg.
Crédit photo : Margot Briand
