Critique – Opéra Classique

SIROÉ, RÈ DI PERSIA de Johann Adolphe Hasse

Quand Max-Emmanuel Cencic réinvente le baroque à l’orientale…

SIROÉ, RÈ DI PERSIA de Johann Adolphe Hasse

Montesquieu se demandait « comment peut-on être persan ? ». A l’Opéra Royal de Versailles le contre-ténor Max-Emmanuel Cencic pourrait lui répondre : en musique, en poésie et fantaisie… Un tour de féerie sonore et visuelle qu’il vient de faire sortir du chapeau de son imagination avec un opéra du rare Johann Adolphe Hasse (1699-1783), compositeur vedette de son temps, figure majeure de l’opera seria, auteur de plus de mille six cents œuvres, dont ce Siroé, rè di Persia créé à Bologne en 1733 sur un livret de Metastase.

Le vieux roi Corsoé choisit pour successeur son fils cadet Medarse au détriment de l’aîné Siroé, moins doucereux mais plus méritant. Un homme de justice qui refuse les compromis. A cette déchéance s’ajoute un imbroglio amoureux : il aime et est aimé d’Emira, la fille d’un ancien ennemi de son père que celui-ci a abattu… Emira déguisée en garçon voudrait à la fois venger son père et monter sur trône avec son amant. Et celui-ci doit subir les assauts amoureux de Laodice, favorite de Corsoé, qui rêve du même destin… Leurs affrontements, tête à tête, fuites en avant s’étalent sur plus de trois heures de musique toute en élégance et d’arias diverses, répétées à l’envi, da capo comme c’était l’usage. A l’époque, on ne restait pas assis sagement dans son fauteuil, on se levait faire un tour, boire un verre, le temps était compté autrement.

Entrer dans l’âme exprimer avec le corps

Artaserse, Farnace, La Calisto, Il Sant’Alessio (voir WT 3490, 3316, 1806, 1310), le timbre de cristal léger de Max Emmanuel Cenci, entendu dans de nombreuses productions d’opéra est devenu familier. Avec ce Siroé il franchit une étape supplémentaire en en signant la mise en scène. Un travail d’orfèvre soutenu par la fluidité des décors de Bruno de Lavenère, ses voiles translucides, ses moucharabiehs mouvants où s’accrochent et se coursent des bouquets de fleurs, des envols d’oiseaux filmés et projetés en vidéos dansantes par Etienne Guiot. En prime des costumes raffinés en soies, satins, brocards… Cencic, directeur d’acteurs pour la première fois, va piano, va sano. Pas de théâtralité ostentatoire mais un cheminement intérieur subtil, selon la formule qu’il affectionne : « entrer dans l’âme, exprimer avec le corps ».

L’oeil se régale, l’oreille n’est pas en reste

Si l’œil se régale, l’oreille n’est pas en reste. Le choix des voix mélange à l’androgyne les sexes des femmes, les unes chantent des rôles de femmes, d’autres des rôles de garçons. Cencic dans le rôle-titre est l’unique contre-ténor de la distribution, en fermeté, en douleur, en lassitude, en joie, il offre à son Siroé une large palette de couleurs et de sensations. Le ténor Juan Sancho compose en Corsoé un vieillard au dos courbé et au timbre passant du rauque de la fatigue à la flamme de la colère. Mary Ellen Nesi, mezzo, se travesti en Medarse avec des graves légers, Roxana Constantinescu se coule avec aisance et une voix à la fois nette et chaude dans le personnage ambigu d’Emira, folle d’amour et folle de rage. Autant de belles performances qui soudain pâlissent quand Julia Lezhneva, soprano colorature surdouée, se met à égrener ses vocalises avec une facilité déconcertante. Un physique de gamine à peine pubère et cette voix qui semble sortir de son gosier sans le moindre effort, avec la facilité et le naturel d’une simple respiration. Virtuose au sommet. Mine de rien, étourdissante !

George Petrou à la tête de l’ensemble Armonia Atenea fait rutiler les paillettes de la musique de Hasse, ses intermèdes joyeux, ses pages dramatiques aux couleurs serrées. Son élégance.

Trois représentations seulement pour tant de talents réunis… On espère les revoir bientôt sur d’autres scènes.

Siroé, rè di Persia de Johann Adolph Hasse, livret de Metastase, ensemble Armonia Atenea, direction George Petrou, mise en scène Max Emmanuel Cencic, décors et costumes Bruno de Lavenère, lumières David Debrinay, vidéos Etienne Guiol. Avec Max Emmanuel Cencic, Julia Lezhneva, Mary-Ellen Nesi, Juan Sancho, Lauren Snouffer, Roxana Constantinescu .

Opéra Royal de Versailles, les 26, 28 & 30 novembre à 20h

01 30 83 78 89 - www.chateauversailles-spectacles.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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