Un Parsifal flamboyant à Genève
Michael Thalheimer et Jonathan Nott, une équipe gagnante au Grand Théâtre de Genève.
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- 2 février 2023
- Critiques
- Opéra & Classique
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TOUT EST ÉCRIT DÈS LE PRÉLUDE. Dans la fosse, c’est le règne de la musicalité, toute en finesse, faite de tempos légèrement allongés, de pauses bien marquées, de mélodies finement ciselées. En résumé, une parfaite perception de chaque pupitre ; on goûte l’harmonie musicale générale, grâce aussi à la qualité sonore de la salle. Jonathan Nott signe son travail comme s’il s’agissait de le calligraphier en lettres anglaises ; les pleins et les déliés donnent ainsi tout son sens à la phrase musicale. Le chef mène la soirée jusqu’au bout, caressant la partition, respectant toujours les possibilités des chanteurs et s’appuyant le chœur avec fermeté. Il est le pilier majeur de ce somptueux spectacle.
La scénographie d’Henrik Ahr ne fait pas dans le détail : des blocs de ciment rectangulaires disposés au fond et des deux côtés de la scène font office, très efficacement, à la fois de forêt, de jardin, de Montsalvat et de sombre château enchanté. La mise en scène de Michael Thalheimer, originale, courageuse, respectueuse de l’histoire, va droit à l’essentiel : ni arc, ni flèche, ni cygne mort. Ainsi, elle rend visible ce qui en général ne l’est pas : la profonde souffrance, le désespoir des chevaliers du Graal après avoir vu leur roi Amfortas humilié et blessé. Pour le metteur en scène, le sang versé par Amfortas a taché durablement tous les chevaliers : à Monsalvat, le désespoir est total depuis la blessure du roi. L’arrivée du héros, la lance à la main, mais affaibli par une nouvelle crise de cécité, ne semble pas pouvoir changer grand’chose au triste avenir de la communauté. L’allusion à la situation explosive mondiale que nous vivons semble évidente.
Leçon de phrasé
Tareq Nazmi (Gurnemanz), blessé dans son corps et dans son âme dès le début, offre au premier acte une leçon de phrasé de haut niveau. Il conquiert le public avec sa voix sonore, son timbre uniforme, son émission virile, élégante, tendre par moments, presque toujours violente, mais aussi par sa présence et son travail dramatique élaboré. Son expression, tendue et obscure, contraste avec le côté brillant de Christopher Maltman (Amfortas). Ce baryton aux grandes capacités vocales, n’a malheureusement pas la possibilité de déployer entièrement ses talents dramatiques en raison des limites du rôle.
Martin Gantner (Klingsor), bien qu’annoncé malade avant le lever du rideau, ne semble pas accuser de difficultés, ni vocales ni dramatiques. Bien au contraire, il assure le début du deuxième acte avec autorité et fermeté. Tanja Ariane Baumgartner (Kundry) montre clairement ce dont elle est capable lors de son intense dialogue avec Parsifal. Daniel Johansson (Parsifal) se maintient lui aussi à un très haut niveau lors de cette séquence-clef de l’œuvre. Sa présence physique et vocale au troisième acte fait de lui un héros doté de toutes les qualités vocales et dramatiques, capable de se maîtriser, mais désarmé devant la gravité des problèmes de la communauté.
William Meinert interprète avec conviction le personnage de Titurel (hors scène), et en tant que premier chevalier accompagne Louis Zaitoun (deuxième chevalier). L’un et l’autre montrent une crainte probablement fondée envers le personnage autoritaire de Gurnemanz. La scène du jardin avec les filles-fleurs, vocalement équilibrée, souligne la qualité vocale des six filles-fleurs ; elle est vécue dans la salle comme une oasis de paix bienvenue. Quant au chœur, bien préparé par Alan Woodbridge, il met en relief avec efficacité et sens dramatique le malaise régnant à Montsalvat après la chute de leur roi.
Photo Carole Parodi
Richard Wagner : Parsifal. Avec Daniel Johansson (Parsifal), Christopher Maltman (Amfortas), Tareq Nazmi (Gurnemanz), Tanja Ariane Baumgartner (Kundry), Martin Gantner (Kligsor), William Meinert (Titurel), Louis Zaitoun (1er chevalier), etc. Mise en scène : Michael Thalheimer, décors : Henrik Ahr, costumes : Michaela Barth, lumières : Stefan Bolliger. Chœur du Grand Théâtre de Genève (dir. Alan Woodbridge), maîtrise du Conservatoire populaire de Genève. Orchestre de la Suisse romande, dir. Jonathan Nott (production : Grand Théâtre de Genève, Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf-Duisburg).