Norma de Vincenzo Bellini
La passion des licéistes pour le « bel canto » demeure toujours très vivante.
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- 17 février 2015
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- Opéra & Classique
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Norma (1831) fut représenté au Liceu dès la première saison du théâtre (inauguré en 1847). L’opéra obtint un énorme succès et fut repris sans discontinuer jusque la fin du XIXème siècle. Après une période d’oubli, il fut remis en scène à partir des années 1950 et s’est maintenu dans les programmations sans interruption jusqu’à nos jours. L’attente du public, venu en nombre ce 11 de février, était d’autant plus vive que l’opéra de Vincenzo Bellini n’avait plus été représenté à Barcelone depuis 2007.
Attente comblée grâce à une merveilleuse réalisation vocale, que l’on pourrait comparer sans hésiter à celles, qualifiées de « mythiques », entendues par le passé au Liceu. Inutile de préciser le nom des trios -Norma, Pollione, Adalgisa- qui s’y sont succédé. Ce sont des noms bien connus, qui ont enchanté les meilleurs théâtres du monde entier.
Un chef d’orchestre connaisseur et attentif et une palette remarquable de chanteurs
Le point fort de la nuit aura donc été la réunion de trois voix, chacune brillant dans son rôle tout en laissant entièrement la place aux autres. Renato Palumbo depuis la fosse aura été déterminant sur ce point, car il a systématiquement enchainé avec l’orchestre les interventions successives des artistes, évitant ainsi les applaudissements spontanés, espérés et souvent provoqués à la fin de telle cavatine ou de telle autre cabalette.
La Norma de Sondra Radvanovsky a occupé le devant de la scène éclatante vocalement et sobre dans son jeu dramatique. Sa voix chaude, au large diapason, a su exprimer les nombreux états d’âme du personnage –de la tendresse la plus fine à la rage irrépressible- ce qui a permis d’apprécier en détail les capacités de l’artiste. Son expression a été toujours conforme au texte, son timbre, plus ou moins brillant, a optimisé le sens de ses dialogues, sa colorature, parfaitement exécutée, a apporté des nuances intéressantes au contenu de ses répliques et on pourrait continuer à réciter le chapelet d’éloges envers la soprano américaine ; tout a été donc parfait du moins tant que la vitesse d’exécution était faible ou modeste. Dès que le rythme imposé par la fosse s’accélérait on a remarqué quelques décalages avec l’orchestre faisant craindre un possible décrochage de la voix de l’artiste. Par chance il n’en a rien été.
Ekaterina Grubanova, retenue et efficace, a été une Adalgisa très convaincante, superbe. La brillance de sa voix, par construction moins intense que celle de la soprane, nous a fait même regretter que son rôle ne fut confié à une autre soprane, comme l’avait prévu le compositeur, tant les dialogues entre les deux femmes aurait gagné en intensité, sans compter que la présence vocale de la jeune vestale aurait même par moments pu surpasser celui de la druidesse.
Entre ces deux belles interprétations, Gregory Kunde s’est montré à la hauteur de la situation. Il a été puissant et bon diplomate lorsqu’il a été pris en flagrant délit de bigamie à la fin du premier acte dans le trio que le public a largement applaudi.
Raymond Aceto dans le rôle d’Oroveso, chef des gallois et père de Norma, a été convaincant grâce à sa voix nette et sereine, sûre et sans faille, expressive, ainsi qu’à sa présence hiératique, conforme à l’exigence de son rôle. Ana Puche, Clotilde, la discrète confidente de Norma et peut-être aussi, nourrice des enfants a bien tenu son rôle.
Et, cerise sur la gâteau, on a pu trouver la réponse à la question : comment transformer un rôle pratiquement inexistant en un personnage nécessaire à la bonne compréhension de l’histoire ? La réponse s’appelle Francisco Vas. Au cours de cette brillante nuit barcelonnaise, l’artiste aragonais, vocalement impeccable, a réussi à donner une existence réelle au minuscule Flavio, en compatissant ami, et en protecteur avisé du faible et puissant Pollione. Une vraie performance à saluer.
Le décor - point faible de la soirée- a conditionné une mise en scène banale.
Le décor de David Korins, qui se veut plutôt du genre réaliste, -visiblement du type carton-pâte-, situe l’action à l’intérieur de la cité celte et non dans la forêt sacrée. De ce fait certaines situations deviennent illisibles : la lune est absente du paysage lors de la célèbre invocation de la prêtresse, la présence de Pollione, l’ennemi romain, dans la ville devient invraisemblable, car trop dangereuse. La grande porte qui occupe le centre du décor -voir « King-Kong » le film de 1933 réalisé par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack- dispose de mécanismes sophistiqués qui lui permettent de s’ouvrir et de se fermer en coulissant horizontalement ou, comme le rideau d’un théâtre, en se soulevant verticalement, un chapelet de grosses pierres faisant le contrepoids : voici une belle réalisation des ingénieurs celtes. Les tuniques des femmes - Jessica Jahn- nous ont plutôt transportés dans la Grèce anienne : Norma a pris les vêtements d’Elektra, ou plutôt de sa sœur Chrysothemis.
Dans ce décor et ces costumes, la mise en scène de Kevin Newbury ne put être, et ne fut, que banale.
Norma, tragédie lyrique en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani. Coproduction du Gran Teatre del Liceu, San Francisco Opera, Chicago Lyric Opera et Canadian Opera Company.
Orchestre et chœur du Gran Teatre del Liceu. Direction musicale de Renato palumbo. Mise en scène Kevin Newbury. Décors David Korins. Costumes Jessica Jahn. Eclairages D.M. Wood. Chanteurs (le 11 février) : Gregory Kunde, Raymond Aceto, Sondra Radvanovsky, Ekaterina Gubanova, Anapuche, Francisco Vas.
Barcelone - Gran Teatre del Liceu les 8, 9, 11, 12, 14, 15, 17 février 2015.
Photos : A. Bofill