Mémoire de fille d’après Annie Ernaux
Pour la Comédie française, Silvia Costa adapte de manière conceptuelle le récit d’Annie Ernaux
Trois actrices, une musique originale, objets et symboles signifiants ... Sur la scène du Vieux-Colombier, Silvia Costa s’est dotée de moyens importants pour adapter le texte on ne peut plus épuré d’Annie Ernaux, Mémoire de fille, paru en 2016. Ancienne collaboratrice de Romeo Castellucci, la metteuse en scène et plasticienne, qui signe également la scénographie, les costumes et les lumières, connaît bien le livre d’Annie Ernaux pour l’avoir déjà porté à la scène, en Allemagne en 2021. Pour cette recréation dans la salle du Vieux-Colombier, elle a fait appel à trois comédiennes sensiblement de même âge : Anne Kessler, Coraly Zahonero et Clotilde de Bayser sans leur assigner une place bien précise dans la pièce.
Plutôt tardif dans la production de l’autrice prix Nobel de littérature 2022, Mémoire de fille revient, avec la sobriété et l’acuité qu’on lui connaît, sur sa première expérience sexuelle, vécue en 1958, à l’âge de 18 ans. Une expérience désastreuse où la jeune fille quitte pour la première fois le giron familial pour être monitrice de colonie de vacances et découvre toute la violence d’une relation sexuelle avec un autre moniteur. Le traumatisme que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de viol sera suivi de deux années de troubles et de souffrances physiques et psychiques que l’autrice reléguera dans sa mémoire jusqu’à leur reconstitution par écrit, près de soixante ans plus tard.
Atmosphère clinique
La scène est un espace nu, lieu indéfini qui peut être une chambre, un hôpital, une école, une chambre de la mémoire où les actrices restituent les trois niveaux d’écriture déployés par l’autrice. Primo, la voix de « la fille de 58 », comme la nomme Annie Ernaux, racontant les faits passés ; secundo : la voix de l’écrivaine au présent de l’écriture observant le hiatus avec la fille qu’elle était ; tertio : la voix « sociétale », qui tire la leçon des faits vécus. A ce mille-feuilles déjà très riche viennent se superposer de temps à autre des voix enregistrées. Des voix de qui ? On ne le saurait dire tant celles des actrices sont neutres, interchangeables. Composée d’airs de violons plus ou moins acides, la musique originale de Ayumi Paul accentue l’atmosphère clinique qui règne sur scène.
Anne Kessler, Coraly Zahonero et Clotilde de Bayser n’ont pas pour mission d’incarner Annie Ernaux, mais de participer à la reconstruction de son histoire tout en restant elles-mêmes. Ce dont témoigne une exposition à l’entrée de la salle, qui passe inaperçue, avec trois vitrines où les actrices montrent des objets personnels inspirés par leur travail, des dessins notamment par la talentueuse et drôle Anne Kessler, le tout baignant dans une atmosphère sonore signée également par Ayumi Paul.
Très conceptuel, le spectacle fait intervenir des objets qui se veulent « métonymiques » : une assiette est censée figurer le réfectoire de la colonie de vacances, un foulard enlevé représente la fille qui se déshabille. Mais tous les symboles ne sont pas aussi lisibles dans ce spectacle très cérébral avec des déplacements sur scène dont la nécessité n’apparaît pas toujours et où toute forme d’expression personnelle semble bannie.
Mémoire de fille, d’après Annie Ernaux jusqu’au 16 juillet au Vieux-Colombier, www.comedie-francaise.fr
Adaptation, mise en scène, scénographie, costumes et lumière : Silvia Costa. Musique originale et collaboration artistique : Ayumi Paul. Collaboration à la scénographie : Thomas Lauret.
Avec Anne Kessler, Coraly Zahonero, Clotilde de Bayser.
Photo : Monika Rittershaus, coll. Comédie-Française.